Roman chorale 21: Nos funérailles

 

Il n’y avait pas foule au Mount Elliott Cemetery ce jour là et le petit cercle formé autour du trou creusé pour accueillir le cercueil en pin premier prix gisant sur le côté, n’était composé que de parfaits étrangers. A part Marnie bien sûr mais n’était-elle pas la première parmi ces inconnus ? Faire sa connaissance sur le tard réjouissait Paul, tapi derrière un des arbres centenaires du lieu le mieux conservé de la ville. Il avait assisté, juste avant l’arrivée du convoi,  à l’exhumation d’un des siens, que sa famille venait récupérer pour l’enterrer ailleurs. C’était de plus en plus courant à Détroit : même les cadavres fuyaient. Paul aurait bien haussé les épaules et c’est ce qu’il fit d’ailleurs, en vain. Ricaner ? Il n’y parvenait pas davantage. Il n’était plus rien bien qu’il ressente une curieuse fatigue après la nuit de veille qu’il venait de passer auprès de la mère de Marnie. La pauvre vieille avait passé plus de douze heures sur le carrelage glacé de la salle de bain, après une mauvaise chute. Sa tête avait heurté le rebord de la baignoire et lorsqu’elle avait repris ses esprits, une douleur fulgurante la clouait au sol. Elle s’était mise à implorer le ciel et tous ses saints et c’est lui, Paul, le plus athées des humains, le premier sur les lieux.  Même pas le temps de se faire à l’idée de son propre trépas qu’on l’embauchait déjà ! On ? Il aurait bien aimé se trouver face à ce commanditaire espiègle pour lui dire deux mots mais il n’eut pas le temps de finir son raisonnement colérique qu’il se voyait déjà, au chevet de la vieille dame apeurée, pétri de la plus étonnante des compassions. Il l’avait veillée douze heures, le temps que les voisins s’étonnent de ne voir les volets s’ouvrir, comme chaque jour dès le lever du soleil. Elle avait eu la force, en entendant la sonnette de crier AU SECOURS et lui-même n’avait été libéré qu’à l’arrivée des pompiers. Il aurait aimé dire maintenant à Marnie, à quel point sa  mère s’accrochait à ce lambeau de vie qu’il lui restait. A quel point, elle avait eu peur de partir, et combien, finalement elle craignait un hypothétique jugement divin. Il aurait aimé lui raconter aussi sa force, son endurance, cette vitalité intacte, sa résistance à la douleur qu’elle semblait dompter si aisément. Grâce à sa peur, paradoxalement. Cela aurait plu à Marnie et ils auraient pu en discuter longtemps, la nuit entière, comme avant.

Marnie, les yeux rougis,  se tenait face au petit groupe et se massait les poignets. Un shérif obèse venait de lui retirer des menottes ce qui révolta Paul. Accusait-on cette pauvre fille de son meurtre ? Quelle monstrueuse connerie ! Mais, là encore, il s’aperçut qu’il était incapable d’aller au-delà du constat. Sa colère retombait avec l’incompréhension. Il tendit l’oreille avant de s’avancer, tenter de s’approcher pour sentir son parfum au moins. Ça y est, il avait enfin compris qu’il ne servait à rien de se cacher, il était invisible, ne faisant plus parti de ce cercle d’élus, de vivants. Il avait bel et bien trépassé. Quelle injustice tout de même, il aurait été plus à sa place, la nuit dernière, aux côtés de Marnie que de sa vieille mère. Apparemment, il aurait à subir dans cette nouvelle « vie » les mêmes absurdités sous forme d’identiques avatars. Il entendit chuchoter « laissez parler Marinette », Marinette par ci, Marinette par là… Décidément, elle n’en ratait aucune et avait visiblement parlé de son passé à ses coreligionnaires, ravis de l’appeler par le nom qu’elle exécrait. Maudite humanité composée de travers ignobles masqués de bouffonnerie.  Elle avait entamé un discours improvisé face à la stupeur d’un groupe parsemé, mêlé contre son gré à cette macabre comédie.

Ce que je connais de Paul, que j’appelais Popaul parfois, pour le désarçonner, tient de l’indicible alors même que nos échanges reposaient sur l’écrit. Avant de devenir mon éditeur, il fut mon premier lecteur. C’est lui qui m’a encouragée à persévérer, et c’est lui bien sûr qui a fait naître dans mon esprit cette idée insensée de venir ici, à Détroit. Pour achever mon roman qui s’embourbait ailleurs. Alors même que nous avons correspondu pendant plus de quatre ans, c’est dans les dernières semaines précédant le grand départ, qu’il s’est un peu confié. Il m’a soufflé la trame d’un autre roman que j’espère n’avoir pas à écrire en prison même si je commence tout doucement à me faire à l’idée…

De temps en temps, elle oubliait de parler, le regard perdu sur une des stèles plantées sur un gazon entretenu. Tandis qu’une larme traçait son chemin sur sa joue, le shérif lui tendit ses lunettes de soleil qu’elle ajusta sur son nez.

Il me disait son besoin de revenir sur les lieux de sa procréation. Conçu ici, à Détroit, en même temps que le Punk des Stooges. Sa mère lui narrait éternellement ses accointances musicales avec chacun des membres du groupe, y compris son mentor, Iggy Pop au point qu’il fut longtemps persuadé qu’il était lui-même le fruit de cette obstination maternelle. C’est peut-être ce qui nous liait le plus étroitement, la folie de nos mères…..

Il me disait qu’à présent, il s’agissait d’écrire un scénario plutôt qu’un roman. Il ne croyait plus véritablement au Roman, mort comme la Poésie. Il s’engageait sur la voie du cinéma et même ces derniers temps, sur celui de la télévision. Les séries américaines avaient pris le pas, quelques unes, telle Breaking Bad, tenait du chef d’œuvre absolu, ce qu’on ne parvenait plus à faire avec d’autres media. Et les Soprano, et Boardwalk Empire… ?  Il me parlait des films tournés ici, dans cette ville devenue plateau idéal d’un cinéma sur le déclin : How to Catch a Monster de Ryan Gosling, Only Lovers left Alive de Jim Jarmush, The Island de Michael Bay et Gran Torino de Clint Eastwood, tous avaient été tournés ici, dans ce lieu fantasmagorique et il fallait en profiter car la ville ne tarderait pas à changer, selon lui.

Vous êtes les premiers à être arrivés ici. Chacun ayant sans doute ses raisons, comme Paul et moi avions les nôtres. L’idée d’une renaissance n’a vraissemblablement pas plus à l’un de vous ; elle se voit aujourd’hui enterrée au sens propre, de nos mains sales et nos pensées insanes. Que chacun cependant, conserve une miette de gratitude pour l’initiateur du roman que nous tentons d’écrire. Un roman labyrinthique, que sans doute David Lynch envierait. Vous souvenez vous de Twin Peaks ? Cette série me fascinait, enfant. Je n’y captai strictement rien et en cela tenait ma fascination. L’ironie romanesque tient de l’effet boomerang et bien malgré moi, je me sens télé transportée dans cette histoire sans queue ni tête. Je l’accepte et m’en nourris. Que celle ou ceux qui m’ont jetée dans les geôles de Détroit ne crie pas trop vite victoire cependant. Si je n’ai jamais cru à la justice triomphante j’ai toujours suivi le chemin aride du désert de l’intégrité, isn’t it Mrs Bates ?

A ces mots, pour la plupart incompréhensibles, Kaputch fit son entrée en se frottant sensuellement aux chevilles de sa maîtresse. Ses ronronnement furent perceptibles jusqu’à ce que la dame incriminée, ne s’effondre lourdement sans que mister Child n’aie le reflexe de prévenir sa chute. L’incident sonna la fin de l’homélie, le shérif réajusta les bracelets à Marnie et le duo s’engouffra dans la chevrolet bicolore, tandis que tout le monde s’affairait auprès de la dame évanouie une fois de trop et que Kaputch faisait ses griffes sur le cercueil de Paul. Le malaise et le doute  se propageaient dans l’assistance. Au loin un indien souriait, les bras croisés sur un buste développé.

Le shérif assura Marnie de la croyance en son innocence et tentait de la convaincre que sa présence en prison lui offrait pour l’instant la meilleure des protections. Elle n’écoutait pas, se laissait enfin aller au chagrin de la perte alors même qu’une chaleur l’enveloppait de l’intérieur, une chaleur qui lui fit dessiner un sourire et Dieu sait s’il était rare qu’on vît Marnie sourire.

 

 

 

 

 

 

 

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4 thoughts on “Roman chorale 21: Nos funérailles

  1. À corps perdu, triste sort pour Marnie. La voilà au chevet de son âme sœur comme une veuve spirituelle et pire encore, accusée du meurtre de ce dernier. Même Charlie Chapplin y était, muet, invisible en noir et blanc. Voici un chapitre qui donne de la couleur et du panache à la Chorale. J’adore ce descriptif d,atmosphère énigmatique. Pawata garde le moral. Vivement la suite

  2. Eh bé, quelle tournure prend ce roman, et quelle allure ! Je suis à la fois larguée, éberluée et en même temps je comprends tout, c’est fou ! Quant à mon avion, celui de mon inspiration, il est coincé dans le temps et il n’est pas encore prêt à atterrir, s’il l’est jamais mais je garde l’espoir 😉

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