RC 37/ India Song

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Lorsque Marnie reprit ses esprits, elle commença par chercher ses cigarettes qu’elle ne trouva pas à portée de main car sa chambre ne disposait pas de table de chevet, ni de rien d’autre si ce n’était le matelas étroit posé à même le sol. Elle mit un peu de temps avant de convenir qu’elle n’était plus chez elle, dans son petit appartement confortable du 3ème arrondissement de Paris, mais bel et bien à Détroit. Et en prison, qui plus est ! Mais il paraissait évident qu’on l’avait déménagée ; la lumière, l’odeur, l’espace autour d’elle : tout avait changé. Elle ressentit une douleur en ouvrant le poing demeuré fermé trop longtemps mais le morceau de papier sur lequel était transcrit le poème qui l’avait bouleversée avait lui aussi disparu. Sous l’ongle de son auriculaire, un minuscule confetti qu’elle dégagea avec minutie lui rappelait qu’elle n’avait pas rêvé : un « s » y demeurait lisible.

Elle était là, assise sur son lit à scruter une lettre de l’alphabet au milieu de sa paume et cet unique indice, cette misérable preuve d’une apparente lucidité, lui parut soudainement d’une insoutenable absurdité. La mort de Paul, son incarcération, sa venue dans cette ville hostile, jusqu’à ce poème écrit de la main d’un revenant…Les deux silhouettes engoncées dans leur parka kaki se rappelèrent à son mauvais souvenir: Child, dont elle entendait pour la première fois le timbre de la voix, hésitante, chuchotée, affublé d’une ombre anonyme. Paul, évidemment, qui d’autre ?

Un premier sourire se dessina enfin sur le visage fermé de la recluse qu’elle n’était plus. A côté du lit, une porte-fenêtre donnant sur un petit balcon de bois ne s’occultait d’aucune grille ni cadenas. Libre ! Marnie se voyait enfin lavée de ce crime sans nom. Elle se leva, vacilla un instant (où est mon jean ?) sur ses jambes nues nécessitant d’urgence une épilation, rabattit les pans de sa chemise sur ses cuisses amaigries, mais échoua à ouvrir la porte-fenêtre.  Scrutant la vue par l’interstice des volets, elle reconnut alors la maison Bates lui faisant face. Marnie sut alors qu’elle avait investi à son corps défendant la maison des écrivains. Baissant le regard, elle découvrit au pied du poteau à la bannière jadis étoilée, le rond « imbherbe », cœur du mystère autour duquel chacun des protagonistes de cette histoire sans queue ni tête, avait au moins une fois tourné. C’est alors qu’elle vit Kaputch avancer lentement jusqu’au point névralgique avant de s’y laisser choir lourdement. Sa queue en panache formait une parenthèse autour de la figure et Marnie, hypnotisée par ce tableau, eut la certitude de toucher au plus près de la clé de l’énigme. Elle aurait aimé disposer d’une feuille et d’un crayon afin de reproduire ce qu’elle voyait à travers une brume qui montait à la verticale sur un bon demi-mètre avant de s’évaporer aussi miraculeusement. Elle se frotta les yeux, ajusta sa vue en choisissant un nouveau point d’ancrage et vit alors au loin, un indien (un INDIEN ???) lui sourire. Certaine d’une hallucination, elle ferma les yeux et compta jusqu’à 3 avant de les rouvrir.

Il était toujours là.

A sourire.

Comme un heureux présage, le sourire cliqueta. La porte se déverrouillait et Hank apparaissait, un grand plateau entre les mains. Sur le seuil, se découpaient des visages inconnus et familiers. Elle reconnut Child, au sommet, Delphine en contrebas, la dame qui lui avait rendu visite la veille (Béatrice ?) et deux autres visages masculins parfaitement inconnus. Effrayée et honteuse, elle regagna sa place sur le matelas et se couvrit les jambes de la méchante couverture grise, une de celles dont se servent les déménageurs pour protéger les meubles qu’ils convoient.  Hank déposa le plateau avant de fermer la porte, au grand dam des quelques observateurs privés du spectacle de Marnie engloutissant ses tartines préalablement trempées dans son bol de café.

–          Vous avez toujours été myope ? demanda Hank après cet intermède. Moi, j’ai l’impression de loucher depuis que je vous ai rencontré. Tout se dédouble autour de moi : Marnie et Marinette, Béatrice et Crystal, Child et Nino, Paul et Popaul….Je dois en oublier… C’est une manie frenchie ou une conspiration ? J’ai l’impression qu’on se joue de moi et je n’aime pas du tout ça, vous savez….

–          Je voudrais voir Paul, si cela ne vous ennuie pas. C’était lui hier soir, n’est-ce pas ? Racontez-moi au lieu de vous faire passer pour le parano que vous n’avez jamais été. Vous savez mieux que personne que je ne vous ai pas menti et que j’ai ….

–          Epargnez-moi vos salades pour un temps. Et laissez-moi réfléchir à voix haute, s’il vous plait. Sans m’interrompre…

Au commencement, il y a cette maison. Cette ruine qui attire les convoitises. C’est cela qui m’intrigue. Alors je me suis rendu au cadastre et j’ai appris qu’elle appartenait jusqu’à l’année dernière à la famille Bates. J’aurais dû commencer par là évidemment…. Je ne sais pas si en France vous avez ce sentiment de propriété si chevillé au corps mais ça se passe comme ça ici….  Se sentir spolié et par des français, qui plus est, quelle terrible frustration, vous ne pensez pas ? Je ne sais pas si je vous ai dit que mister Bates,  le père, était mort le jour même du débarquement en France, en juin 44….sans même avoir foulé le sol…abattu en plein vol dans son parachute. La haine de mrs Bates doit venir de là, ou de plus loin encore, qui sait mais elle est si vivace que cela confine au délire qu’elle a transmis à ses fils. Je n’arrive cependant pas à comprendre comment elle a réussi à faire passer l’un deux pour votre correspondant mais on dit qu’il était un geek, je ne sais même pas ce que cela signifie…Je me sens vieux tout à coup. Tout cela me dépasse, tant de mesquinerie sous cette haine ancrée, est-ce possible ?

En poursuivant mon enquête autour de cette maison, je me suis heurté à autant de versions que de témoins. Pour certains, elle est tout simplement hantée, pour d’autres elle est le théâtre de scènes de crimes dont les victimes peuplent la cave à charbon ou le jardin ou les combles, pour la doyenne de notre quartier, elle aurait été bâtie sur la sépulture d’un chef indien… Rien qui ne tienne la route. Rien de tangible. Tout ce que je déteste : rumeurs, ragots et à la clé beaucoup de dégâts…

–          Sauf pour un écrivain….

–          Que voulez-vous dire ?

–          Que seuls les écrivains ont le pouvoir d’entendre ce que les vivants refusent d’écouter. Que quelqu’un est en train, en ce moment même de nous conter son histoire, jusqu’à nous la dicter et qu’il serait idiot d’ignorer son point de vue… Après tout c’est bien pour cela que nous sommes venus : pour écrire ! Qu’attendons-nous pour nous mettre au travail ?

–          Vous êtes extraordinaire, vous ! C’est tout ce que cela vous inspire ? J’aime bien lire vous savez mais je déteste les écrivains… Tous les mêmes, des égoïstes prêts à enjamber des cadavres pour tirer leur plume de ce jeu dégueulasse. Ouais, parfaitement, je vous trouve dégueulasse !

–          Ça veut dire quoi dégueulasse ?

–          Allez au diable ! Au fait, vous êtes libre. Je vous laisse entre de bonnes mains bien affûtées d’écrivaillons français. Entretuez-vous si ça vous chante mais tenez-moi à l’écart de vos fantasmes désormais. J’ai d’autres chats à fouetter, voyez-vous…

 

 

 

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6 thoughts on “RC 37/ India Song

  1. Le puzzle se met en place et le écrivaillons frenchies se doivent de suivre les dires de Mr Hank.
    Nous, compagnons de la plume, nous tenons le bon bout et, sans espérer un merveilleux Happy End, on peut toujours envisager un traité à l’image de nos ancêtres les colons fondateur des États Unis d’Amérique, non ?
    Mais qui va accorder, in fine, l’autorisation d’habiter deux ans dans cette maison si intéressante ?

  2. Le shérif prendra ses déjeuners avec sa femme dorénavant. À moins qu’il trouve pire de rester avec sa femme 24 heures sur 24. il a laissé des indices dans un épisode ou deux sur sa situation matrimoniale. Il parle peu, mais quand il parle ça s’entend. C’est ce puzzle qui lui donne des mots de tête. Mais c’est un bon casse-tête.

  3. Je n’arrive plus à me souvenir où j’ai pu lire déjà l’idée de l’auteur/e manipulant ses personnages conscients de l’être… Les quelques éclaircissements du shétif laissent entrevoir le pire comme un possible meilleur…

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