RC 63 le dixième commandement

L’homme s’avança tranquillement à travers l’épais brouillard fuligineux du saloon de chez « Fitgerald’s ».

Avec son chapeau mou à bords rabattus, il semblait sortir tout droit d’un roman de  Raymond Chandler.

Le trench coat à col relevé était fermé par une ceinture négligemment nouée.

Les mains enfoncées dans les larges poches renforçaient sa ressemblance avec le célèbre Philip Marlow.

On sentait dans sa démarche cette assurance des gens qui ne se retournent pas ; ceux qui, décidés à aller au bout de leurs engagements, préfèrent mourir plutôt que de ne pas les tenir.

D’un pas tranquille, il avança dans la traverse puis s’immobilisa à la table de poker occupée par quatre joueurs : trois hommes et une femme; une femme très belle.

Les yeux des quatre joueurs ne le perçurent même pas tant leur enjeu était important; l’homme qui connaissait bien les clous de la passion, attendit patiemment.

Il en profita pour détailler la femme et son cœur battit un peu plus vite.

Dieu du ciel, qu’elle était belle; en fait, elle était toujours aussi belle qu’au moment où ils s’étaient perdus de vue, tous les deux.

Si sa beauté n’avait pas changé, son tempérament avait dû suivre le même chemin et Josh se rappela à quel point elle avait été cette beauté si calculatrice qu’elle lui avait préféré le fortuné Brad.

Une salope qui lui avait fait croire au grand amour tant qu’il avait aligné les biftons de cent dollars.

Et puis, la descente aux enfers.

Le vol des bijoux de la riche et vieille Norma qu’il avait séduite malgré la différence d’âge.

Uniquement pour être aussi riche que ce prétentieux de Brad et reconquérir Thelma.

Mais le sheriff du comté l’avait alpagué suite à une dénonciation écrite et lui, Josh S Cartwrigth, savait que l’auteur de la lettre était une femme, malgré que le sheriff refusât de lui révéler son identité.

Les S et les B avaient la même forme particulière que ceux de Thelma, son si grand amour déchu.

Pourquoi avait-elle fait ça ?

Ca ne lui avait donc pas suffi de le larguer comme une vieille chaussette ?

Thelma la salope devait avoir une bonne raison pour lui donner ce coup de poignard si perfide…

En tous les cas, la vénalité devait être de la partie : l’oiseau vole, le serpent rampe et Thelma adore le fric, c’était ainsi.

Et ce soir, après quinze années passées entre prison et petits coups minables, Josh S Cartwrigth venait régler ses comptes avec Thelma.

Pendant quinze ans, il l’avait cherchée sans la trouver et voilà que ce soir, il la trouvait sans la chercher.

Juste un concours de circonstance qui l’avait fait entrer chez « Fitgerald’s ».

Et elle était là, devant lui, avec ce même sourcil gauche levé en accent circonflexe, signe qu’elle mentait.

–        Tu bluffes encore Thelma…

Ces quatre mots tombèrent lourdement sur la partie de poker laissant les quatre joueurs en arrêt complet comme lorsqu’un film est stoppé par une panne de projecteur.

Puis, la vie reprenant son cours, le joueur à gauche de Thelma la regarda et prenant sa figure décomposée comme un aveu, il poussa tous ses pions au milieu de la table :

–        Tapis !

Furieuse, Thelma se leva, abandonnant l’ensemble de ses gains qui devenaient ainsi l’ensemble de ses pertes : cinquante mille dollars…

–        Toi ? Mais que fais-tu ici ? Elle n’arrivait pas à dissimuler sa colère.

–        Je viens juste te délivrer un message ; il s’agit du dixième commandement: « Tu ne désireras point injustement le bien des autres »

–        Mais… enfin, Josh, explique-toi…

–        Tu es vraiment gonflée de faire semblant de ne pas comprendre

–        Ah… Norma, la vieille richarde ? Bien sûr, tu ne pouvais pas savoir que Brad et moi avions projeté de lui voler ses bijoux… Tu l’as juste fait avant nous.

–        C’était une raison pour me balancer aux flics ?

–        Hum… C’était une idée de Brad pour pouvoir récupérer la prime de cinquante mille dollars.

–        Alors, nous sommes quittes, adieu salope !

Remontant son col, Josh S Cartwrigth, se retourna, sortit de chez « Fitgerald’s » et rejoignit l’homme qui l’attendait à l’arrêt du bus « Détroit centre ville ».

–        Merci pour le tuyau Monsieur Akatagi, votre message est passé.

Le sourire d’Akatagi découvrit ses belles dents blanches.

Une pluie fine se mit à tomber sur la nuit tourmentée de Détroit.

 

 

 

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8 thoughts on “RC 63 le dixième commandement

  1. Je suis clouée sur ce rond point au dixième étage. Les bijoux de Norma volés ? Thelma perd ce qui égale la mise vengeresse. Le tuyau d’Akatagi dite Jambe de Grillon remet les pendules à leur devoir. Avant de faire un chemin de croix ou une grave crise de foie de bile, je vais relire à travers l’épais brouillard, coup fumeux du saloon. Suis-je sur la bonne chorale ? En avant comme avant ? Je reviendrai copier sur les autres. lol

  2. Le compte est bon: ça fait 1 pour l’autre et 1 pour l’une. Et puis l’autre a séduit une vieille sacoche tandis que l’une a séduit un vieux riche. Donc, ça s’annule. Akatagi fait son travail en toute bonne conscience. Il faut reconnaître qu’il soulève quand même des passions après la lecture de ces messages à qui il les destine. Cette fois il est fier de lui … Il est pas rakiri. Bravo ! La forme des lettres que l’autre aime particulièrement, c’est beau ça ! Un petit détour pour un message et autre commandement et on revient au centre, mais tous les chemins mènent à Rome, comme tu disais … Suivons la flèche ——->

  3. Jadis, Rome s’enlisait dans le plurithéisme; fallait-il qu’elle devint monothéiste ? y’en a un qui a essayé, mais il a eu des problèmes

  4. A l’aise dans le western, Agantikatagi ! Bravo pour ce grand moment qui me fait m’égarer un peu plus, on est en plein dans le délire des sens !

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