Le lapin l’avait prédit

Nous sommes en 1837, dans un village reculé de la Creuse.

Afternaight, sorte de vieil ermite venu d’on ne sait où, détient le pouvoir sur les esprits et les âmes. C’est lui qui perpétue les traditions ancestrales par la terreur qu’il inspire aux villageois crédules. Il possède le pouvoir absolu. Chaque nouvel arrivant dans le bourg est immédiatement soumis au regard inquisiteur d’Afternaight. Il observe, analyse, ferme un œil puis de l’autre, plonge au plus profond de votre âme. Son rôle est également médical et depuis toujours, on fait appel à lui pour les cas graves. L’action se déroule dans une vieille cabane en bois, dont les planches disjointes n’empêchent nullement le vent de s’introduire. Ce soir justement, la tempête fait rage et les personnes réunies dans cette cabane peuvent entendre son chant à travers les lattes.

Agenouillé près d’un enfant d’une dizaine d’années, visiblement mal en point, Afternaight éventre un lapin vivant d’un coup de couteau net et précis et l’applique, encore chaud, sur la petite poitrine du malade. Derrière-lui se tient le curé Replet, le deuxième protagoniste de cette histoire. C’est un petit bonhomme sautillant, bourré de tics, sorte de « De Funès » en soutane, qui s’acharne à discréditer ces pratiques. Mais les pouvoirs secrets du rebouteux sont redoutés. Tombe le verdict, sans appel du doyen du village, qu’on ne connaît que sous le surnom de « Gros Paul ».

– Pour dire la messe, confesser, marier, donner l’extrême-onction, j’dis pas m’sieur le curé, mais pour retirer la fièvre d’un malade, rien ne vaut un lapin.

Entre curé et sorcier, la guerre fait rage. L’âpreté du combat politique, la manipulation des esprits dans la lutte pour le pouvoir est le tissu de ce drame. Le village est littéralement coupé en deux. D’un côté, ceux qui ont peur de la justice divine, de l’autre, ceux qui ont peur du mauvais œil. Bouillant de rage, le curé tourne les talons et s’en va, claquant la porte si fort que la pauvre cabane en bois en pousse un cri déchirant. Dans un coin, la pauvre Jéminouie s’évertue à prier, en silence, pour le salut de son enfant. Elle prie, pas trop fort, pour ne pas indisposer Afternaight, mais elle égrène son chapelet. On ne sait jamais, au cas où …

****

Zack, un chien famélique, qui somnolait paresseusement près du feu de la cheminée, fait un bond et aboie. Le gros Paul fronce les sourcils. La porte de la vieille cabane vient de s’ouvrir sur un personnage tout aussi curieux. C’est un italien, la trentaine, le poil noir. Il a pour particularité d’être le beau-frère de Jéminouie. Dans le village, on a eu bien du mal à accepter la venue de cet étranger. Mais on a fait contre mauvaise fortune bon coeur. Après tout, il a marié Mounly, la sœur de Jéminouie sous l’œil bienveillant de monsieur le curé. Bien sûr, Gros Paul a insisté, rien n’aurait pu être possible sans l’accord de Afternaight.
L’homme est furieux :

– JEMINOUIE, quoi tu FAIT! Lui pas BON, enfant pouvoir MOURRIRE!

Tandis que la terre battue termine d’absorber le sang du pauvre lapin exsangue, s’immisce le timide visage de Mounly. Gros Paul lance un regard perçant vers l’intrus.

– Tu as peut-être marié ma petite fille, mais ça, ce sont des affaires privées…
– Jéminouie. Je crois qu’il vaudrait mieux faire appel au médecin de la ville.

Mounly a prononcé cette phrase d’une voix blanche et la réaction ne se fait pas attendre. La canne du gros Paul frappe violemment le sol.

– Il suffit ! Je suis ici chez moi ! Vous êtes tous chez moi ! J’ai fait venir le guérisseur et si vous n’êtes pas content, vous pouvez tous aller vous chercher un autre toit ! Dehors l’Italien, et toi aussi, mon ex petite-fille que je renie ! Et ne vous avisez pas de me faire un bâtard rital où je l’étranglerai de mes mains.

Afternaight, qui n’avait pipé mot jusqu’alors, se redresse. Sa voix, profonde, s ‘élève et provoque un frisson dans l’assistance.

****

Bilgatus, poète, barde et peintre, travaille à la lumière de sa vieille et fidèle bougie. Il est de ces gens qui pensent que les objets ont une âme, aussi lui a-t-il donné un nom, un nom curieux : Faustochope. Dehors, la tempête fait rage. Bilgatus aime quand les éléments se déchaînent, il se sent investi d’une force nouvelle, il est inspiré. De temps en temps, une souris passe près de Faustochope. Bilgatus n’en est pas dérangé. Après tout, une souris à le droit de vivre. Il se dit qu’il va l’adopter et la surnommer : Cliquette. Il se met à fredonner une chanson.

Tout à l’heure, en marchant sur le sentier, il a bien vu de la lumière chez Gros Paul, mais il a un portrait à terminer, celui de Albertina, la fille du Maire. Demain, c’est son anniversaire et il faut que la toile soit prête. Tout en finissant les détails du contour de son visage, il suit du regard le curé Replet. Il le voit vitupérer en agitant les bras sous la bourrasque. Visiblement, l’homme d’église semble de fort mauvaise humeur.

****

Toute la maisonnée est suspendue aux lèvres de Afternaight.

– Jeminouie, le sang du lapin a coulé. Son esprit m’a parlé. Ton enfant ne va pas guérir.
– Mais, mais… Grand-père, tu m’avais dit… Le lapin…, sanglote Jéminouie
– Silence ! Le lapin n’y est pour rien. Il y a ici des ondes négatives, des gens qui ne croient pas …

Tous les regards se tournent vers l’italien.

– Toi, toi !, gronde Gros Paul, je savais qu’en acceptant, j’avais fait fait une connerie. Disparaît de ma vue et vite !
– Attendez !

Afternaight a levé la main.

– Pour guérir l’enfant, il va me falloir encore du sang.
– Encore un lapin ? Mais nous n’avons pas les moyens…
– Oh non, il me faudra bien plus qu’un lapin !

Zack, comme s’il comprenait, pousse un hurlement et la queue entre les pattes, court se réfugier derrière le tas de bois.

– Moi je sais qui va servir au sacrifice.

Le regard de Gros Paul était ostensiblement tourné vers son gendre. Afternaight opina.

– Ca me semble une bonne idée.
– OOOOoooh, mais vous être FOUUUU !

La porte claque, provoquant les aboiements de Zack. Celui que les habitants vont sacrifier disparaît dans la nuit aussi vite que lui permettent ses jambes. Gros Paul, toujours assis, pointe sa canne vers Mounly.

– Il n’a même pas d’honneur, j’me demande ce que tu lui a trouvé… Et faites taire ce chien où j’appelle Macloche. Vous savez qu’il déteste les chiens, il les assomme à coups de pelle et va les enterrer dans la fôret.

Mounly sanglote. Jéminouie, pâle comme un linge mais prête à tout pour son enfant, demande :

– D’après vous, où peut-il bien se cacher ?

Afternaight entrevoit l’occasion de se débarasser de son ennemi.

– Il est allé se réfugier dans l’église, chez le curé, j’en suis certain. L’esprit du lapin me l’a dit.
– Alors on va y aller aussi, avec des fourches, des faux et des torches. Curé ou pas, on va aller le récupérer et il accomplira la prophétie du lapin.

Le pinceau de Bilgatus se fige sur la toile. Devant ses yeux défile la moitié du village, armés et vociférant. L’italien, réfugié dans la forêt et malgré la tempête, pouvait voir les reflets rouges orangés des flammes qui embrasaient l’église du village.

Ce matin, le village est étrangement calme. Les évènements de la veille ont laissé aux habitants comme un sentiment de gueule de bois. Seul le curé Replet, debout sur les restes fumants et calcinés de ce qui était encore hier son église, harangue le village. Il vitupère et menace des foudres du divin. On peut l’entendre, égrenant les noms des incendiaires. Il les a reconnu, malgré la nuit et la tempête, à la lueur des torches. Pour la plupart, il les a baptisé, leur a donné l’enseignement primaire, les a marié, a emmené leurs aïeux en terre. Et ils ont osé lui faire ça. Ses larmes coulent, creusant des sillons roses sur ses joues couvertes de suie.

Personne n’est venu. La moitié par peur de représailles, l’autre par honte de n’avoir rien fait. Personne ? Si, un homme est là : Bilgatus. Il est venu aux premières lueurs de l’aube, avec son chevalet et ses pinceaux. Il a tenu à immortaliser cette scène pour les générations futures. L’air est encore chargé de soufre, ses yeux le piquent mais il se sent investi de cette mission. Témoigner, c’est son rôle. Sa mémoire est truffée d’évènements passés, semblables à celui-ci et qui se transmettent de générations en générations.
« L’histoire se répète et les hommes oublient », se dit Bilgatus.
Il faut dire que Bilgatus est d’origine polonaise et son enfance dans ce village n’a pas été facile. Les cailloux pleuvent dru dans les cours d’école pour les gens qui ne sont pas d’ici.

Pour la petite histoire, le fils de Jéminouie, cause ignorante de ce drame, va mieux. Cette nuit, curieusement, la fièvre est tombée. D’aucuns diront que c’est grâce aux bons soins d’Afternaight. Même si on n’a pas retrouvé le corps de l’italien, il est certain qu’il a brûlé en enfer dans les flammes de l’église.

****

Autour du repas familial, la vie a repris son cours. Mounly a retiré sa bague, pris le deuil et le déshonneur de ce mariage s’est envolé en panaches de fumée noire. Gros Paul a repris sa place sur la chaise paternelle et Zack est retourné réchauffer sa maigre carcasse près du feu.
En guise d’oraison, le patriarche a déclaré :

– Je n’veux plus entendre parler de cette histoire, elle n’a jamais eu lieu. Que ce soit dit. Dimanche, nous f’rons une quête pour reconstruire l’église. Toi, ma fille, tu vas aller au couvent et servir Dieu. Et tant que j’aurais un souffle de vie, tu ne remettras plus les pieds chez moi.

Dans la maison du maire, Albertina pleure. La bestialité et la violence des habitants lui font peur. Elle l’aimait bien l’italien. Elle pouvait l’écouter raconter ses poèmes durant des heures. Avec son drôle d’accent, elle ne comprenait pas tout, mais elle se laissait bercer par le son de sa voix. Et son père, pourtant maire du village, pourquoi n’est-il pas intervenu ? Elle le regarde, avec circonspection. Il se tient debout, devant la fenêtre et regarde la rue à travers les rideaux. Son père est un pleutre, un lâche !

Aujourd’hui, c’est son anniversaire. Albertina a 26 ans, l’âge de se marier. Mais elle n’est pas pressée. Contrairement à son père, elle a du caractère. Le Gros Paul ne lui fait pas peur, les menaces du rebouteux non plus. Elle est instruite et a fait des études de médecine, seul avantage de sa situation sociale. Les vieilles croyances ancestrales n’ont pas tenu longtemps face à la science. Son diplôme en poche et pleine d’illusions, elle se rappelle son retour au village et le sourire narquois d’Afternaight.

– Un médecin… Ici ? Dans le village ? Une femme en plus ? C’est ridicule. Laissez les filles à leurs fourneaux et laissez-moi m’occuper des choses graves. A-t-on déjà vu une femme éventrer un lapin ?

Albertina pousse un soupir et se tournant vers son père, murmure ses mots qui lui brûlent les lèvres :

– Père, qu’attends-tu pour intervenir et prévenir les autorités ?
– Ma fille, ne te mêle pas de ça. Il y a des choses qui te dépassent.
– Oui. Dis plutôt que tu as peur pour ta réélection !
– Silence ! De quel droit oses-tu ?

Un claquement de porte sera sa seule réponse. Albertina, bouillant de rage, est partie se réfugier dans sa chambre. Elle se jette sur son lit pour pleurer.

Bizarrement, Afternaight éprouve un sentiment mitigé. Pourtant, son plan a parfaitement réussi : Il a réussi à ce débarrasser de l’italien et de ses idées libérales, il s’est vengé de son ennemi et l’enfant est sur la voie de la guérison. Oui, il a toutes les raisons d’être heureux. Pourtant, il a comme un goût amer dans la bouche …

****

Voilà près d’une semaine que l’italien erre dans la forêt. 6 jours qu’il ne dort pas, épiant les bruits des animaux nocturnes. Il est épuisé, il a faim, il a soif. Son corps est pris de violentes convulsions. La fièvre et les nausées s’ajoutent à son état d’extrême fatigue. Sans doute les baies qu’il a mangé il y a trois jours. Au début, il a voulu rejoindre le village voisin, il s’est enfoncé dans les bois le cœur vaillant. Aujourd’hui, il suppose qu’il a dû tourner en rond et n’a plus la force de poursuivre. Il a déjà entendu par deux fois les loups hurler. Il sait qu’ils sont sur sa piste, qu’ils l’épient. La nuit, il peut voir les lumières dansantes de leurs yeux.
Ses jambes lâchent, il tombe sur le sol en poussant une plainte déchirante, un cri de bête blessée, inhumain.

Albertina aime se promener en forêt, c’est son côté romantique. Bien sûr, d’habitude, elle se garde bien de quitter le sentier, se contentant de cueillir quelques fleurs aux abords, mais ce cri… Il faut qu’elle sache.
De toutes ses jambes elle s’élance. Elle sent la morsure des ronces qui la griffent mais elle continue d’avancer et les plaintes se font de plus en plus présentes. Tout à coup elle s’arrête, indécise. L’imminence d’un danger potentiel la fait hésiter.

Un dernier râle finit de la décider. « Ce ne peut être qu’un humain, ce ne peut être qu’un humain ». Elle ne cesse de se répéter cette phrase pour se donner du courage. Derrière ce bosquet, cette masse allongée au pied d’un arbre, elle pense le reconnaître.

Les yeux pleins de larmes, Albertina a des gestes de douceur. Elle pose sur ses genoux la tête de l’italien. Elle touche son front brûlant. Il transpire si fort que sa robe se décolore doucement à son contact. Malgré son masque de souffrance, elle se rend compte de sa beauté. Elle est frappée par cette évidence : Il est beau. Comment ne s’en était-elle pas aperçu auparavant ?

****

Peu à peu, Albertina retrouve son sang froid. Elle est médecin, elle doit agir. Elle ne peut pas le laisser là, encore moins le ramener au village. D’ailleurs pour y arriver, elle devrait le porter et c’est impossible sur une si longue distance. Il lui faut trouver de l’aide, c’est la seule solution. Le front plissé, elle caresse doucement la chevelure noire de l’homme qui dort d’un sommeil agité. Soudain, son visage s’éclaire : le curé Replet. Lui pourra l’aider. Mais pour ça, il faut qu’elle l’abandonne ici, seul, à la merci des bêtes sauvages.

– Un feu, il faut que je fasse un feu. D’abord ca va le réchauffer, ensuite ça éloignera les prédateurs. Je me souviens avoir lu ça.

Bien que seule, Albertina a jeté cette phrase à haute voix, pour se donner du courage. Faire du feu, elle sait parfaitement s’y prendre. Des années d’entraînement à allumer l’âtre familial. Il faut des grosses branches, des brindilles, de la mousse sèche et…

– Mince je n’ai pas d’allumettes !

Elle se met à fouiller frénétiquement ses poches. Puis celle de l’italien, sans succès. Au moment où son courage va l’abandonner, elle entend une voix dans son dos

– C’est de ça dont tu as besoin ?

Albertina fait une brusque volte-face pour se retrouver nez à nez avec… Afternaight.

Il tient une torche dans sa main et la regarde de son œil pénétrant. Albertina recule jusqu’à toucher de son dos le tronc rugueux tandis qu’il s’avance vers l’italien.

– Il est bien mal en point, ton ami.
– Que voulez-vous, ne vous approchez pas de lui ! répond crânement Albertina
– Je viens t’aider et c’est ainsi que tu me remercies ? J’ai lu dans les entrailles de porc que tu avais besoin de moi, voilà pourquoi je suis venu. Et j’ai un marché à te proposer.
– Je n’attends rien de bien de vous. Vous n’apportez que le malheur.
– Tsss… Tsss… Ma petite. La fougue de la jeunesse. Regarde ton ami, il n’en a plus pour longtemps. J’attends de toi un petit service et toi, tu as visiblement besoin des miens. Pourquoi ne pas faire une petite… association ?

En fait, Afternaight a un projet. Celui de devenir le maître incontesté du village, il veut la place du Maire. Cet éternel goût d’inachevé, c’est sa soif de pouvoir que sa victoire n’a pas étanché. Au contraire.

– Qu’attends-tu de moi ?

Brusquement, la question d’Albertina le ramène à la réalité.

– On a le temps pour ça. Maintenant, occupons-nous de ton bel italien.

Ils se sont penchés au même moment. Leurs visages sont si près l’un de l’autre qu’Albertine peut sentir le souffle du rebouteux sur sa joue. Elle frissonne. Il murmure :

– Je te promets une vie longue et heureuse avec lui… Le lapin me l’a prédit.

****

Ce matin, à l’aube, tout le village est en effervescence. Hier, Albertina, la fille du Maire, n’est pas rentrée de sa balade en forêt. Le premier magistrat, échevelé et les yeux cernés par une nuit d’angoisse, semble prostré. Un murmure monte des villageois :

– Il faut organiser une battue !
– Oui, allons-y !
– Moi je viens … Je prends mon chien avec moi.

Afternaight regarde ce petit monde d’un œil sombre. Lui, d’habitude si puissant, semble fatigué. Il prend le Maire par le bras et l’entraîne à l ‘écart.

– Ce matin le sang de bœuf a viré au noir. C’est un mauvais présage. Je sens venir une catastrophe, n’y va pas.
– Si tu crois que je vais laisser ma fille, seule, perdue dans la forêt, à la merci des bêtes sauvages… Je dois y aller !

Sans insister, Afternaight recule. Le curé Replet en profite pour réunir le groupe et les bénir. Très vite, on peut entendre les clameurs, les appels et les aboiements qui se répercutent en écho.

Bilgatus ne participe pas aux recherches. Il aime ce rôle d’observateur passif et de témoin, « pour les générations futures » comme il se plait à le répéter. Mais le cri qui vient de retentir, énorme, déformé par les échos de la forêt, l’inquiète. La curiosité le pousse à s’enfoncer dans le bois. Un attroupement s’est formé autour d’une fosse naturelle. Bilgatus se penche. Monsieur le Maire gît au fond. Aucun bruit ne lui parvient. Lorsque Bilgatus lève les yeux, il lui semble apercevoir une ombre. Il jurerait avoir reconnu Afternaight. Le long hurlement d’un loup déchire le silence.

Le curé Replet prie, les chiens aboient, les loups répondent et Monsieur le Maire expire. Il y a un moment de flottement parmi le groupe. La voix de Gros Paul s’élève:

– Une corde, il faut une corde… Remontez-moi cet homme et trouvez-moi Afternaight. Lui seul peut nous aider.

Le curé Replet grommelle, les chiens somnolent, les loups se lèchent les babines et Grop Paul réfléchit.

Non loin de là, Afternaight s’asseoit sur une souche. Voilà trois jours qu’il souffre. Il a de la fièvre, il est fatigué. En ouvrant le lapin, il a respiré des bacilles de peste pulmonaire, mais ça il ne pouvait pas le savoir. Pourtant le sang de bœuf l’avait prévenu, mais il n’a pas su interpréter le signe. Il ne sera jamais le maître incontesté du village.

****

Le petit-fils de Gros Paul a grandi. Il fait désormais ses études dans la grande ville. Souvent, il se rend chez le médecin. Une femme. Elle lui paraît sympathique et compétente. Il lui parle de son village, du curé devenu Maire, de la superbe église reconstruite il y a peu et du rebouteux qu’on a retrouvé mort dans la forêt. A chacune de ses histoires, elle sourit et un voile passe dans ses yeux. Le Docteur Albertina se dit qu’avec un antibiotique, un médecin, même femme, aurait pu le sauver.

Le soir, blottie dans les bras de son italien, elle se rappelle la phrase d’Afternaight « Une vie longue et heureuse avec lui… ». Le lapin l’avait prédit.

Fin.

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