Chroniques du ver sot : Safari en Cévennes

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Après quelques virages très cévenols, me voici à Notre Dame de la Rouvière, un charmant hameau accroché aux Cévennes méridionales, à une soixantaine de kilomètres au nord de Montpellier, pas très loin du Vigan, demie sous préfecture du Gard par protection.
Le but de mon déplacement est juste de faire plaisir à mon potes Jojo qui me vante la beauté du coin et, pour ce, m’a invité à un flinguage de sangliers. Je colle un S à sanglier because je suis d’un naturlich très optimiste.
Pour la beauté du lieu, je cautionne : j’en prends tellement plein les mirettes que je me demande si, après ça, je vais pouvoir réintégrer les faubourgs de Montpellier sans avoir envie d’insulter le percepteur qui m’envoie la taxe d’habitation.
C’est beau, c’est sauvage, c’est inattendu et féerique à la fois. C’est… les Cévennes, et comme disait mon père : « Qui voit Cévennes voit ses peines » ; Il avait trouvé cet adage dans Banania et il se foutait des fautes « d’octograffe » comme de sa première liquette.
Quand à la battue au sanglier… je vais essayer de vous retracer la journée mais ca va pas être fastoche.
Tout d’abord, le rassemblement au petit matin : des tronches hirsutes, des clébards qui s’apostrophent, des cliquetis d’armes, des grosses voix qui font savoir à la cantonade leur infime bonheur de se retrouver et des volets furax qui se referment en claquant. Derrière on entend parfois des  » Boun Diou di cassaïres » dont la traduction aurait tendance à signaler aux auteurs des voix que certains non chasseurs aimeraient bien pioncer un chouia de plus.
Sans compter avec la dernière blagounette quasi obligatoire. Aujourd’hui c’est : « Tu sais ce que dit un sanglier qui croise un cochon ? » Et bien sûr comme personne ne moufte le blagueur embraye : « Pas trop dur la chimio ? »  Sous les rires forts et gras de l’assemblée.
Mes excuses à ceux qui doivent endurer cette phase obligatoire pour pouvoir guérir; en espérant que le reste de la page leur enlèvera quelque peu le spleen.
–    Bon alors, s’écrie le chef des canardeurs, les rabatteurs, z’avez qu’à monter au col de la Tribale et vous redescendrez ensuite pour faire venir les bestiaux vers ceux qui seront en poste; et n’oubliez pas vos gilets fluos.
Traduction : démerdez vous à crapahuter pour nous envoyer les sangliers que nous tirerons comme à la foire; les gilets fluos étant juste pour qu’on essaye de ne pas nous confondre avec le gibier.
–    Heu… ça arrive, demande-je à mon pote Jojo, qu’on prenne les rabatteurs pour des sangliers ?
–    Oh rarement avant le déjeuner m’affirme laconiquement mon hôte. Je n’ai pas le temps de demander pourquoi avant le déjeuner car nous partons.
C’est au bout de deux plombes de crapahut que je commence à piger les finesses de cette chasse. Nous les rabatteurs, pour pouvoir rabattre, faut monter sur des escarpements, on y laisse des kilos de sueur et le souffle a plutôt tendance à se raccourcir. Pendant ce temps les meutes de clebs s’égosillent en chorales mortelles et les seigneurs tireurs en poste cueillent des champignons en attendant la curée.
Tout à coup, le feu d’artifice sans lumière commence. Une pétarade de coups de feu suivie de pleins de  « je l’ai eu« . Si j’ai bien compté y’a au moins dix sangliers au tapis.
Arrive le déjeuner pris dans une convivialité grandissante avec le nombre de litres de rouge cadavérisé. Une seule ombre au tableau : un unique sanglier sur le carreau ; les dix chasseurs ont du tirer le même…et nous v’la repartis pour le second épisode.
C’est là que j’arrive à un poste ou deux champions discutent :
–    Hé, samedi dernier,  c’était quoi que tu crois avoir  tiré ? demande l’un qui ferait peur au fils de Frankenstein tellement il est pas beau avec ses cheveux implantés à deux centimètres des sourcils
–    Ben un condor de Mauritanie affirme le tartarin en se drapant dans sa dignité
–    Té… l’autre! Tu as juste tiré sur un delta plane, andouille!
–    Ouais, n’empêche qu’il lâché sa proie, ce con
Vous dire que le milieu de la chasse est un groupement de consanguins handicapés du bulbe, ça je peux pas : faut pas trop exagérer, mais affirmer que c’est un milieu intello, non ! Faut pas déconner, non plus.
Le reste de la matinée est beaucoup plus animé que la première moitié rapport aux kils de rouquin qui ont déchargés pas mal de testostérone dans les veines de nos héros.
Y’a même un jeunot de notre chasse qui m’a demandé mes papiers… Il devait se prendre pour Rambo en mission secrète.
A la fin on a compté les bêtes mortes pour la patrie : deux seulement pour trois cents douze coups de fusil… Ce sont les armuriers qui se marrent. J’en ai connu même un qui avait vendu son magasin dans le nord, cause qu’ils avaient interdit l’alcool pendant les chasses et qui avait acheté un estanco ici ; inutile de dire qu’il se faisait des quinques en or dans nos chères Cévennes.
Là où je me suis le plus fendu la gueule c’est quand lorsque on a vu arriver deux chasseurs, très certainement des vikings des hauts cantons, qui tiraient par les pattes arrières le sanglier qu’ils avaient assassiné. Chacun sa patte et vogue la galère. Moi, sympa, observateur et voulant leur rendre service, je leur signale qu’en le tirant comme ça ils sont à rebrousse poil et ce contre sens du poil fait une résistance alors que s’ils attrapaient le bestiau par les défenses ça glisserait tout seul. « Ouais, OK merci mec ! » M’envoient-ils,  pleins de reconnaissance.
Je me tire dans le sens opposé à leur marche ci-dessus décrite vu que je dois rejoindre mon QG et, ceci fait, qu’elle n’est pas ma surprise, au bout d’un moment, de les voir arriver à l’opposé de là où qu’ils devraient être.
Le plus vieux m’adressant un bon gros clin d’œil complice me dit :
–    Hé mais dites donc, c’est ben vrai que ca glisse mieux comme ca !
–    Ouais rajoute l’autre mais ça fait quand même un quart d’heure qu’on s’éloigne de la camionnette…
C’est ensuite le dépeçage puis le partage des morceaux plus ou moins noble, par tirage au sort presque pas dirigé.
–    La première hure est pour Tony vu qu’il l’a demandée le premier…
–    Hé, tu tires au sort ou tu fais comme en politique ?
–    Kékifont en politique ?
–    Ben, comme là : ils te font croire que c’est la loi mais on distribue aux copains !
–    C’est pas normal ! hurle un rougeaud bien aviné en chargeant son fusil, va y avoir du grabuge !
–    Ho, toi, écrase vu le nombre de sangliers que tu ramènes on devrait te donner les trous
–    J’vais m’le faire ce con !
–    Tu ferais mieux de tirer ta femme que des sangliers, au moins tu la raterais pas !
–    Et pourquoi qu’il la raterait pas ?
–    Tu connais l’expression « rater une vache dans un couloir » ?
–    Bon, très bien, s’offusque l’offensé, j’me casse et je ne mettrais plus les pieds dans votre chasse de merde
–    C’est ça ! et tire la chasse en partant…
–    Il fait le coup chaque fois mais la samedi d’après il est là car avec le vin, il oublie…M’explique mon pote Jojo
–    Mais sa femme, questionne-je, elle est si moche que ça?
–    Non, pas vraiment, mais  lui, il est très cocu et il fait croire à sa gerce qu’un jour il tirera sur un des ses amants…et elle est bien contente qu’il aille chasser, ce con : au moins elle est sûre d’avoir au moins trois heures pour recevoir une visite
–    Une visite de qui? Me hasardais-je naïvement
–    Putaing ! toi t’es vraiment un mec de la ville ! Que veux-tu que reçoive comme visite la femme du plus grand cocu de la région ? Mon pote Jojo met ainsi fin à toutes sortes d’explications car voyez vous, les cévenols sont remplis d’une pudeur toute….cévenole.
C’est le soir en rentrant chez moi que j’aperçois, dans la lueur de mes phares, un  panneau d’affichage pour les élections cantonales : sous la photo du peut-être futur élu, une affirmation très Cartésienne: Avec chasse, pêche et traditions défendez la nature !
Je me demande bien qui c’est-y qui la met en danger, la nature, dans les Cévennes…

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