RC 36 – En vérité, je vous le dis en vers et pour tous

Faut croire que la mort n’a pas l’odeur de la sainteté ni pour les chamans ni pour les robes noires. Comment se gourer si mal pour faire si bien ? Allez savoir pourquoi, je me retrouvai au cimetière devant Marinette en sanglots et hoquetant son innocence. Elle aimait son Popaul. Ce n’était pas elle la meurtrière et patati et patata. Pawata observait à distance ce désastre en boucle.

Malgré ses vives protestations, on menotta Marinette. Avec vigueur, on la traîna jusqu’à la Pontiac noire du shérif. Debout, robe noire jouait du goupillon au-dessus d’un amas de terre fraîchement remuée. Les vers écrivaient des S. Éclaboussé d’eau bénite, Kaputch crachait des feulements misérables pareils à de lamentables grincements d’archet sur un violon à la corde cassée. Ma’hownnnnnnnnnnniiiiiiii.

« Ça va le chat ! J’ai compris. Si tu veux ta Marinette, va falloir m’aider. Tes larmes de crocodile qui se poile sont inutiles. Ici, dans ces taudis abandonnés, la marmite déborde de malheurs enchaînés depuis des siècles. Il aurait été préférable de ne pas gratter le mauvais œil des esprits tourmentés. On ne déterre pas des fantômes sans en payer le prix. Ces artistes se croient au-dessus de la réalité. Ils jouent aux apprentis sorciers entre ciel et terre. Ça fume, ça boit, ça crac, ça croque, ça rock, ça plane et ça se dit des créateurs. Je les vois. Ils se font leur cinéma tatoué au fond de leurs pupilles dilatées par la démence d’une idée folle jetée sur Rose cachée sous les herbes qui déjeunent à l’heure noire des morts.
Amène-toi. On a du boulot à faire pour sortir de cette galère qui fout le bourdon aux abeilles du jardin pendant que des vers dansent nus devant des lucioles aux sons des tambours sauvages.»

Le dos rond comme une balle, la queue dressée, Kaputch se braqua devant le reste du récit de sons en alinéa lancé par moi, le Chaman. Un nuage de fumée sans feu enveloppa le gros matou. Loadé comme le gun de Lucky Luke, il aperçut sa muse blanche, sortie de sa côte à dent. Une créature belle à se faire damner par les siens. De ma main de maître créateur, je lui ajoutai une touche triangulaire noire Slévichou, à la pointe de ses oreilles avant de la nommer sa compagne éternelle, sa mie de vie, sa Kaputchva. Je l’enjoignis ainsi en lui tendant le bâton de parole allumé par moi : Parle avec elle.

Ce fut leur premier voyage à travers le temps. Ensemble, ils se téléportèrent jusqu’à Rimouski pour entendre, flûte, tambour et violon amérindiens dans le crépuscule des forêts enchantés. À l’aube du jour, je les vis revenir, patte à patte enlacées, les yeux en amande percés d’étoiles rouges au fond du regard. Ni bien ni mal. Transfiguration. Juste une renaissance d’éternité après la mort. Pawata me lança un regard satisfait. Nous serions deux maintenant. Libres comme le vent, plus rapides que le temps sans le courir par devant, par-dessus et par-dessous au derrière.

Entre deux lignes, je traçai une Rose pour deux cœurs et une Alice cueillant des têtes de violon dans une chambre sans lumière. Je fermai les yeux sur cet œil de bœuf aveugle au pied de l’arc-en-ciel délavé par un orage à Détroit.

Juché sur mon fidèle mustang roux, je revis la jolie blonde derrière le volant de la Buick rose barbe à papa. Et me voilà emporté sur des vers retrouvés au fond de ma mémoire indomptable qui me siffle à l’oreille ce bout de sonnet cavalier aux accords de mon ami Baudelaire. Lequel se retrouve momifié au tombeau de mes reliques françaises.

« Suis-je, pour vous aimer, ô blonde enchanteresse,
Un timide écolier qui rêve de vos yeux
Et rougit quand son front sent frémir vos cheveux
Dont la brise lascive éparpille une tresse ? … »

Coup de théâtre ! Pas canon du tout, échevelé, la Mrs. Bates, une brosse à la main, hurle sur son balcon quand un noir corbeau traversa l’espace. En transe,

– Oh Lord! Tell me it’s not true. It’s not true.
My Norman, my Norman! Bring him back; bring him back. My son…,

La tête ailleurs, Mrs Bates récitait cette incantation rythmée d’octosyllabes.

– Once up on a midnight dreary, while I pondered weak and weary… Nevermore. Nevermore.

De sa Lincoln, je vis descendre solennellement sieur Slévich en kimono coréen, couleur rouge dragon et à son bras la Lolita, celle de Vladimir Nabokov. Elle portait à son cou, une queue de mystères et dans sa poche, l’enjôleuse Kaputchva qui s’échappa pour rejoindre Kaputch tapi derrière le cyprès.

De sa chambre sans fenêtre, j’entendais Mr. Child qui récitait cette poésie au son de son violon triste.

« Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volumes d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. «C’est quelque visiteur, – murmurai-je, – qui frappe à la porte de ma chambre; ce n’est que cela et rien de plus.»
Traduction /Baudelaire Le Corbeau / The Raven, Edgar Allan Poe

Je retournai vers mon cercle imbherbe et fumai le bâton de parole avec Pawata.

Marie Louve

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7 thoughts on “RC 36 – En vérité, je vous le dis en vers et pour tous

  1. Désolée pour les erreurs d’accords qu’on enseigne aux enfants du primaire. Ex : écheveléE . Mrs. Bates. / des forêts enchantées… :-(( Shame on me ! Mais j’ai eu du plaisir à imaginer ce volet.

  2. 🙂 Ce canard est de plus en plus exquis. N’est-ce point ce canard, d’allleurs, perché sur … une tombe ? un menhir ? un rocher talllé par l’humain dans un paysage grandiose américain, sur la toile qui domine le chapitre (qui l’a peinte ?). Je crois bien que tout le monde est arrivé, c’est parfait !

  3. Ce canard me semble vouloir amener la paix, normal : il veut éviter le conflit de canard…Approcherions-nous de la réunion finale des artistes ?
    En tous cas, il est au moins un chien qui soit heureux d’avoir trouvé son âme cœur.
    Ne vous y trompez pas : pour être de quelques centimètres, le cercle imbherbe est pourtant illimité pour accueillir les âmes errantes.
    « Au départ était le verbe » et à l’arrivée, sera-ce le cercle ?

  4. Tous sont là pour la rencontre des grands esprits. Ce canard géant permettra à Yanis de s’exprimer envers et contre tous. Il y a dans cette ville maintenant deux chatsseurs complices. Le maître est déjà là mais se fait attendre. Comme dirait le grand Jacques: « Au suivant ».

  5. Superbe ! On ne cesse jamais d’être surpris et nos attentes, remises en cause…
    La magistrale arrivée de Slév, Lolita et Kaputchva nous promet encore de beaux moments…

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