Nouveau Roman Chorale

CHAPITRE 1 : PARIS-BERLIN

« Ci-gît qui y échappa tant 

Qu’il n’en échappe que maintenant ».[1]

 

– J’aime ta façon de crever, mon gars.

La réplique de Django rompit le ronronnement monotone du TGV et mit en émois les passagers du wagon. En cette période d’attentats réguliers, il ne fallait pas trop titiller les nerfs de certains. Pour éviter une gêne terrible à mon voisin qui venait par mégarde de débrancher ses écouteurs reliés à sa tablette sur laquelle tournait Django Unchained, je réagis par un fou rire. De quoi dédramatiser. Et lui signifiai mon goût pour ce film de Tarantino.

C’est sur cette maladresse que j’arrivai à Paris Montparnasse. Il était midi treize. Il me restait exactement deux heures et quarante-sept minutes pour arriver au lieu du rendez-vous, et dissiper le mystère.

Je saluai mon voisin de wagon qui se rendait à Marseille, et m’échappai au plus vite de la foule étouffante de la gare. Je m’offris un petit resto antillais, choisi au hasard dans une rue proche de la tour Montparnasse… Avant de le regretter : les piments me remuaient l’estomac. J’avais heureusement toujours sur moi mes petites pilules magiques. Je flânais dans le quartier, m’attardais au cimetière où je croisai Beckett qui reposait plus ou moins en paix. Comme d’habitude, le temps fila plus vite que je ne l’estimais. Et je n’avais plus qu’une heure avant de rejoindre le pied du funiculaire de Montmartre, où devait déjà m’attendre l’amie. Elle aimait arriver en avance.

Un p’tit tour de métro plus tard, j’atteignis l’endroit fatidique. Mon amie n’était toujours pas là. Un jeune rebeu, assez bogosse, s’approcha. Me scruta. Me sourit avant de me tendre une enveloppe, et repartit comme il apparut : sans que je ne m’en aperçoive… Un peu décontenancé, je me posais sur une marche et ouvrit l’enveloppe. J’y trouvai un petit mot de mon amie en question, qui me pria de bien vouloir déplier ce papier et me servir du billet qui se nichait dedans.

Un billet d’avion, à destination de Berlin !

*

– Et voilà comment je me suis retrouvé ici. Je ne parle pas un mot d’allemand, et la seule fois où je suis venu en Allemagne, c’était à l’autre bout du pays et j’avais que douze ans !

– Comment t’es arrivé jusqu’à cette auberge ?

– C’est une dame qui m’a donné l’adresse tout à l’heure à l’aéroport de Berlin. Je pensais y trouver mon amie, mais on dirait bien qu’elle ait décidé de jouer aux fantômes…

– Bah elle va arriver. Elle est cool ta pote, pour t’inviter dans un endroit pareil !

– C’est vrai qu’ici, c’est très… grungy !

Marco et moi nous lançons dans un fou rire.

C’est lui qui m’a accueilli en arrivant. Il vit ici depuis trois mois. Il passe ses journées à faire la tournée des boîtes d’intérim et à boire du Club Maté. Il me montre d’un regard un vieil homme assis sur un fauteuil du salon d’accueil.

– Lui, c’est Prosper, ça fait quasiment un an qu’il vit ici. Il a été licencié et expulsé de son logement, il galère, comme moi, comme tous ceux qui s’attardent dans une auberge de jeunesse conçue pour ceux qui ne font que passer. Avant, il vivait en Espagne. Il a dû émigrer après la crise. Et encore avant, il vivait au Burkina Faso. C’est là-bas qu’il est né. Il a pas une minute de répit, contrairement aux apparences… C’est un boss ! Un sage…

J’admire les fresques et les tags réalisés sur les murs intérieurs de l’auberge. Ils sont du même genre que ceux vus dans les rues jusqu’ici parcourues. C’est dément, ce quartier ! Pas un mur n’est vierge. Je voyage dans les œuvres au fur et à mesure que je parcours les rues et les couloirs ; je voyage dans le temps. Je repère des références historiques, des clins d’œil ironiques aux politiques austéritaires européennes. Ces imaginaires m’absorbent tant et si bien que j’ai manqué deux appels sur mon portable, lequel m’indique un message sur ma boîte vocale. C’est mon amie !

– Coucou mon lapin, tu dois être bien lost hein… Je comprendrai si tu m’en veux mais vous ne le regretterez pas, toi et les autres ! Profite bien de cette belle nuit, et rejoins-moi demain au 19 de la Wriezener Strasse. Tu verras un gros portail, je serai devant avec une perruque rousse. Bisous !

19 rue machin… Gros portail… Perruque rousse… Décidément, je suis largué total ! Je peux toujours jeter un coup d’œil sur le Mapp pour avoir un aperçu de la rue en question… Difficile de se faire une idée, mais ça n’a pas l’air très gai…

Bah après tout, je ne connais pas cette ville, et quelque chose me dit que je vais bien kiffer !…

 

[1] Samuel Beckett, Premier amour, Minuit, 1970, p. 10.

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