RC 72 – Ce baiser né sur une tâche de café…

grand baiser

 

Encore troublée du passage de la Blue Inconnue sur sa carrosserie, Daisy Litre remercie son conducteur du plus profond de son moteur. Elle l’emmène, conformément à sa demande, le long de l’avenue Woodward où bossent les boss du bizz.

C’est ici en l’occurrence que s’est installé le plus cynique actionnaire de notre époque, prêt à ravaler l’âme de Détroit en vue d’en faire un laboratoire de ses expériences et projets financiers à venir.

Aux alentours du Détroit River, le rétro de Daisy reflète la présence d’une voiture de police ; le regard interrogatif du shérif au volant n’entame en rien la belle avancée de la moto ni la bonne humeur de Bad Daddy qui lui offre un sourire. Plus tard, alors que le temps presse, il trouve sur son chemin une jeune Lolita muée en prototype de la parfaite consommatrice américaine et qu’il accepte de conduire jusqu’à la ville où il va aussi. Une inconnue lui déchire son pantacourt, et n’apprécie que très modérément d’être pris pour une icône alors qu’il n’a en tête qu’un objectif…  »I don’t care »… 

En arrivant en ville, dans la plus grande sérénité, ce dernier que trahit quelque sourire en coin à peine perceptible observe l’air de rien l’hyperactivité et les nervosités urbaines où ceux qu’on appelle humains sont relégués au rang de consommateurs hystériques. Tout lui apparaît si glauque qu’il lui semble avancer sur un nuage. Au-dessus de ça ; au-dessus de tout, du reste ! Il repense au shérif aperçu peu avant, se dit qu’il aurait aimé discuter avec lui :  »ses yeux de doute pétillaient d’air libre. » Regrette aussi de n’avoir pas pris le temps de regarder celle qui a déchiré son pantacourt.  »Ça me va plutôt pas mal, en plus ! », dit-il en regardant la déchirure.

Il a déposé Lolita à l’endroit désiré, elle l’a remercié en lui offrant son 07.

C’est par ici, dans l’un de ces recoins obscurs de la grande avenue sournoise, que va se jouer le premier acte de sa mission. Dépourvu de toute inquiétude, Bad Daddy opère minutieusement, pas à pas, dans l’équilibre tranquille des choses et des gestes. Il tâte, prend la température, mesure l’ambiance, jauge et repère. Chaque geste, chaque regard est un pas de plus vers le but accompli. Rien ne saurait déroger aux objectifs formulés, si ce n’est la beauté d’un imprévisible à sa tâche. L’imprévisible ici se tient telle une fleur. Une rose. Une rose Nelson.

– Oh, je vous prie de m’excuser.

Ces simples mots ont fait craquer le cow-boy à l’âme d’Indien qui n’en montre rien. Il voit même en ces quelques tâches de café renversé la trace qui perdurera en tant que celle d’un grand moment vécu, celui qu’il vit en cet instant. L’élégance solaire de la femme le trouble, il l’invite à partager une nouvelle tasse. Le brouhaha du matin qui agite le bar semble n’atteindre en rien l’esprit de Bad Daddy tout entier plongé dans les yeux de Rose.

De fil en aiguille, les confidences se délivrent ; les deux interlocuteurs sourient des connivences de leurs motivations. Et y voient là chacun grand intérêt. En révélant à l’avocate son face-à-face imminent avec le plus grand prédateur actuel de la ville, Bad Daddy apprend en retour qu’elle se trouve être la défenseure des salariés d’une société sacrifiée sur l’autel de la gloire de la firme Spencer. En d’autres termes, Bad Daddy et Rose Nelson partagent un ennemi commun, le seul qui soit : Dan Spencer, que servent quelques fidèles dont un sur qui Rose est en train de se pencher, un dénommé Bates. Elle doit rencontrer dans l’heure l’un de ses grands amis qui pourra lui en dire plus.

Mais, pourquoi ne m’accompagneriez-vous pas ? Ainsi, vous en sauriez un peu plus sur ce qui fonde la stratégie d‘ce salaud…

A dos de Daisy Litre, Bad Daddy se dirige vers Sterling Heights, les mains de Rose posées sur ses hanches. C’est tout près du Temple des Sonnets que les attend Slévich, assis sur un carré d’herbe en position du lotus, occupé à la lecture du quotidien local qui informe des préparatifs du grand cocktail annuel qu’organise le gouverneur Pilhat le week-end suivant.

– Je me demande bien comment se déroule une soirée chez un gouverneur… Ah Rose, te voilà !

Il se lève pour saluer sa grande amie qui remarque l’article sur le cocktail à venir :

– Tu étais en train de rêver à des mondanités, interroge une Rose toute en rires ;  »tu sais que je suis invitée, et je cherche un cavalier !

La proposition ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd, ni même de deux : Bad Daddy semble intéressé également par ce cocktail.

Rose présente les deux hommes. Slévich n’est pas sûr de vouloir narrer ses observations devant un inconnu, ce à quoi Rose répond qu’au contraire, tous trois auraient à y gagner :

– Bad Daddy vient d’arriver à Détroit pour en finir avec Dan Spencer. Chaque détail pourra lui et nous être utile.

Bad Daddy alors prend la parole, d’une voix posée.

– Ecoutez M.Slévich, si j’ai l’air d’un cow-boy, j’ai pour moi la cocasserie comme Daisy la carrosserie ; c’est pour mieux dissimuler l’Indien en moi. Le cow-boy, c’est Spencer. Je suis en mesure de le mettre à terre, sur le plan des affaires. Ma rencontre avec votre chère amie ici présente nous est d’une chance précieuse, pour nous tous. Rose et moi sommes en mesure de l’attaquer simultanément sur deux fronts, juridiquement et professionnellement. Et vous autres, écrivains, serez débarrassés à la fois de la trame Bates et du danger Spencer. Alors, what else ?

Finalement convaincu, notamment par la chute séductrice du propos accompagné d’un clin d’oeil, Slévich leur fait part de ses observations quotidiennes de la vie du fils Bates et de ses manigances secrètes. Selon lui, le fils chercherait à dépasser sa mère pour le compte de Spencer quant à la maison.

Sur fond d’extrapolations passionnelles dues à des phénomènes surnaturels mais réels qu’il n’est plus temps de nier, et qui rend dans ce placenta de non-dits les habitants infantilisés enclins au pire, il se livre dans l’ombre une véritable guerre immobilière, un arbre carnivore qui cache la forêt en furie, et j’ignore encore si le meurtre commis est en lien avec tout cela.

Réjouissant !

En outre, Bad Daddy est heureux de savoir que Slévich fait partie des écrivains français immergés malgré eux dans un cauchemar que leurs esprits délirants permettent par chance de ponctuer de petites magies précieuses; une lueur brille dans ses yeux :  » Vous allez aussi m’aider à retrouver mon fils… »

Slévich précise dans un rire de poète qu’actuellement, Lolita est à la tâche elle aussi pour extirper du froid mais vulnérable Norman Bates quelques informations capitales.

– Toujours est-il que le cupide Spencer est sur le point de racheter la maison des écrivains, et il me coûte chaque jour que de ne pouvoir rien en dire à mes amis tant que tout n’est pas clair dans ma tête.

– J’ai une bonne nouvelle pour vous, s’enflamme Bad Daddy ; vous pouvez dissiper tout brouillard, car c’est ici précisément que j’interviens. L’heure du duel approche, mes amis…Préparez les cotillons !

Suite aux révélations de Slévich, Rose propose à Bad Daddy de venir chez elle, discuter plus longuement. Sur le chemin, ils aperçoivent un rassemblement, et assistent à une pêche miraculeuse réalisée par un homme dont l’énergie dégagée touche au cœur-même du faux cow-boy. La foule les incite à poursuivre leur chemin davantage qu’à s’attarder pour une hypothétique salutation à ce  »magicien » qui pourtant les intrigue.

Installé dans un fauteuil du salon, tandis qu’elle sort deux bières du frigo, il remarque un CD mal inséré dans le lecteur ouvert. L’insère. Un prélude au violon retentit.

Ah vous avez succombé !, lance une Rose épanouie, et enchantée de l’initiative de son invité. Vous connaissez ?

– Du tout.

– Une grande violoniste s’il en est… Marina HeiB, sa première symphonie, une merveille ! Elle est morte à Détroit, vous savez ? Tenez, votre bière…

– Merci. J’avoue que je la découvre… Mais sa musique est triste.

– Vous trouvez ? C’est vrai qu’une certaine mélancolie se dégage, mais… si j’puis dire, j’y ressens au contraire l’expression d’un désir naissant, comme le début d’une danse… Cela vous dirait ?

– Pardonnez, mais je…

– Allons, pourquoi se retenir ?

Et Rose empoigne le bras robuste de Bad Daddy, tout à fait interdit, pour une danse improvisée. Avant le grand baiser. 

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12 thoughts on “RC 72 – Ce baiser né sur une tâche de café…

  1. Oups, cela va trop vite pour moi ! Je suis encore sous l’empreinte de la fée Di qu’un nouveau chapitre arrive et j’ai aperçu des noms qui remontent à la surface et qui dormaient depuis quelques temps. Lu la moitié, je reviendrai.

  2. Comme nous le disions moi et l’autre, il y a du Lelouch dedans et du regard, je bois Daisy Litre qui me fait envie. Lu en grande vitesse, mais je reviendrai colliger chacun des précieux indices qui trament la survie du roman. Well, well ! Good news ! ça jazz fort dans ce volet ouvert. Sortie du tunnel ! Best regards Mr. Child.

    1. Je ne suis pas fan de Lelouch mais je prends le compliment 🙂 j’ai aimé certaines choses tout de même, comme le premier film que j’ai vu de lui à 13 ans, Des jours et des lunes…

  3. Nous voilà dans une scène où le baiser se fait attendre … Mais il y a plus important. Avec la détermination qu’il semble avoir pour retrouver son fils et résoudre l’énigme du meurtre, avec Rose qui travaille avec le syndicat pour les travailleurs, avec leur haine commune de Dan Spencer, avec Slévitch qui revient discrètement, avec Lolita qui travaille à faire parler Norman Bates, avec les écrivains à qui on a promis la vieille maison au bout de deux ans, M. Spencer n’est pas sorti du bois. Car il bout pour les amis. Si son fils est bien Norman et que Bad Daddy le déteste, ça va faire du pow-pow-pow. Où est donc Marnie, Child est le dernier à l’avoir vue, ou Paul, mais comme ils sont souvent ensemble ces deux là, ils seraient les derniers à lui avoir important. Mais l’important, c’est la Rose, n’est-ce-pas ?

  4. Si il existe une fin à ce roman, il se pourrait qu’elle nous ponde plus de justiciers que de mauvais garçons.
    La fin est une vue de l’esprit… de toutes les plumes.
    Mais si Spencer a l’intention de racheter notre piaule, qu’il fasse gaffe à son crédit : les subprimes ne sont pas fait pour les chiens.
    Comme dit ma copine, ces épisodes puisés à la louche dans l’imagination fertiles des artistes, mériteraient un film qui nous parlerait des uns et des autres…
    Et le supérieur qui mit Chigan, le Huron derrière Ontario ne se doutait pas que l’affaire n’irait pas au lac…
    Bon, je vais me coucher.

    1. Méfions-nous tout de même de quelque « justicier » aux intentions peut-être louables, mais avec une part obscure qui peut se révéler progressivement… Tout dépend du degré de machiavélisme des plumes sus-dites…
      Je suis d’accord avec ta copine, ce roman chorale devrait être adapté cinématographiquement, y’a du lourd !^^

  5. Les langues se délient délicieusement. Nous n’irons pas à Détroit en carburant à l’eau de rose, mais avec l’eau  » au moulin de mon choeur  » , le nôtre.

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