Roman chorale 18

la voie du chat

LA VOIE DU CHAT

Depuis le tragique événement, un sentiment d’effroi s’était emparé de tous les esprits. Si chacun s’était efforcé de rendre beau le moment des rencontres, que d’aucuns sauraient mieux décrire que moi, un climat angoissant planait et chacun avait sa manière de le gérer. Pour ma part, j’avais validé mon  »choix » de l’antichambre comme lieu de vie, malgré la crise de claustrophobie partagée ici avec Mme Bates, avant que son homme de maison ne nous eût délivré.

Je demeurais enfermé dans cette petite pièce sans fenêtre mais dans laquelle je venais de remarquer la présence d’une petite fente au plafond, près d’un mur de l’autre côté duquel se trouvait le jardin, terre d’eden promise aux plus rares beautés végétales en croissance, devenu en un rien de temps l’objet maudit de toutes les supputations, une zone interdite suscitant chez certains les fantasmes les plus obscurs. Je regardais de temps à autre l’anomalie, entre deux occupations mineures. En vérité, je n’avais pas le courage de me lancer dans une investigation liée à cette pièce chargée d’histoire et de vibrations, et dont je me disais que son exploration était semblable à celle de l’univers. Pas le courage, non, et ainsi restais-je quasi-immobile, assis ou allongé sur ce lit aux ressorts aigüs, à ruminer et ruminer encore.

Effondré sur le lit, l’oeil rivé sur la porte entrouverte, une sensation que je connaissais bien entama son requiem ; une sensation jaillie des tréfonds de moi-même, comme si débordait de moi la suie de mon enfance… Une panique étrange s’empara de mon esprit, provoquant un torrent d’eaux que je ne pus contrôler: une synergie d’émotions diverses fit naître au bord de mes yeux un liquide chaud et salé que je n’avais plus goûté depuis des siècles; cette douloureuse et palpitante sensation entraînait aussi chez moi une soudaine montée d’hormones dont le flux pulsait jusqu’aux sommités de mon corps vulnérable, à commencer par mon sexe pris de convulsions et de tensions menant inévitablement à une éjaculation interminable; la vision navrante du néant qui s’ensuivait faisait cheminer en moi des idées noires, en forme d’arme à feu pendant entre mes cuisses comme un sexe mou, et qui ne faisait qu’à me pomper du sang. Les eaux noires de la peur, jaillies d’un désarroi, me noyèrent dans un ultime sentiment d’inutilité irréfutable. C’était presque pire qu’une peur d’enfant.

A chacune de mes interrogations répondait l’idée que je me faisais au départ de cette aventure, que j’imaginais riche en expériences littéraires et en délires collectifs. Après l’inondation, le temps d’éponger. Dans un élan d’optimisme, je me dis que cet objectif n’était pas périmé, que tout était encore possible. Foie de Child, la rate revivifiée, je tendis la colonne vertébrale et me mis à réfléchir à un plan d’action. Il fallait à la fois faire vite et prendre le temps de l’analyse, ce qui s’avérait loin d’être dans mes cordes. La priorité était de mettre de l’ordre dans mes idées et dans la maquette des pièges auxquels j’allais être forcément confronté. Je me surprenais de ce sens soudain du pragmatisme, sachant qu’au fond de moi, j’eus préféré consacrer mon temps solitaire à explorer l’antichambre et y rencontrer peut-être l’esprit de la violonniste à la peau de raisin… si ce n’était déjà fait. Car alors que j’essuyais la dernière larme séchée sur ma joue sujette à ses chatouilles, j’entendais encore le son de l’ouragan d’émotions tournoyantes, semblable à celui d’un violon…

Deux choses étaient déjà très claires à mes yeux : Marinette n’était pas coupable, et je devais redoubler de vigilance dans mes faits et gestes eu égard Mme Bates que je jaugeais un brin accaparante. Une telle omniprésence ne pouvait que dissimuler des non-dits dérangeants. Cependant, elle avait la langue bien pendue et il me suffirait d’y adapter mon oreille. Puis j’avais dans mon sac quelque remède contre le silence, au cas où…

Sur le chemin allant de l’antichambre à la cuisine, j’aperçus la silhouette du chat de Marinette surgir au bout du couloir, nimbé de la lumière d’un soleil éblouissant, pour aussitôt disparaître. Sans doute devait-il mener son enquête ; peut-être était-il la voie à suivre… D’ailleurs, il me semblait comprendre son invitation à emprunter ses pas. J’abandonnai mon idée d’aller grignoter, et suivais le félin à la queue cerf-volant.

Je croisai Béatrice et son ami Yanis, dont la barbe différait de celle de Roger par son minutieux entretien et le fait d’être attachée par un élastique. Je les mis au fait de la situation en guise de bienvenue, ce qui les fit me quitter très vite. Le chat m’attendait un peu plus loin, et me fit aboutir finalement au jardin. Je fus saisi d’étonnement en y surprenant l’ami Roger, recouvert de terre et occupé à reboucher au moyen d’une grosse pelle un trou fraîchement creusé…

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5 thoughts on “Roman chorale 18

  1. Les bons esprits se rencontrent. Le chaman était déjà sorti de sa hutte virtuelle pour faire alliance avec le chat. Qui a dit que l’impossible appartenait à la non réalité ? Foie de canard, tout est au coin du détour. Super la  » voix  » du chat. C’est bon de donner sa langue au chat. Voilà un fier chaman au parfum !

  2. Il ne faut jamais sous-estimer un chat. Sous des apparences de doux félin, un tigre peut dormir en lui. Mister Child a besoin de parler, c’est évident. Et Marinette prise avec ces flics a besoin de secours. Il faut y aller au plus tôt.

  3. Je ne me rappelle plus qui est Roger mais il est bien réel puisqu’il rebouche un trou qu’il a creusé … Pour enterrer le mystérieux Docteur Popaul, ou alors pour cacher quelque chose … Je crois que je comprends bien le désarroi de Mr Child dans sa cuisine, heu pardon, son antichambre sans fenêtre … Lorsque je débarquerai, ce sera en terrain fortement miné, pas seulement le rond de terre imbherbe … Que l’esprit de Pawata passe par moi pour m’inspirer lorsque j’en aurai le temps et si ce n’est pas le cas, au moins la lecture déjà si prometteuse ne me décevra pas, je sens cela !

  4. Chacun cherche en faisant son petit bout de chemin.
    Bien sûr, on risque quelques légères errances mais Pawata va bientôt nous remettre dans le chemin escarpé de la construction d’un scénario satisfaisant pour tous.
    Juste qu’aujourd’hui, Pawata doit aller à Castorama pour acheter un robinet car celui de la baignoire goutte et Madame Pawata n’est pas contente qu’on lui préférât des gribouillages d’internautes au confort du bain (ouf) 🙂

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