Le diable, l’astronome et la naine rouge (extrait)

Le diable, l'astronome et la naine rouge

Le diable, l'astronome et la naine rouge

En Arménie aussi, le printemps se montrait précoce. En cette nuit tiède, le ciel couvert annonçait un orage et Miridjan s’apprêtait à frapper à la porte de Diane. Il portait sur ses bras tendus une longue tunique en lin et une large ceinture brodée de fils d’or. Il était resté sur le seuil, les bras croisés, inhabituellement muet, pendant que Diane se vêtait de la tenue rituelle. Elle l’avait suivi, toujours en silence, le long des corridors glacés jusqu’à ce qu’il s’efface et, d’un geste de la main, lui indique le chemin pour qu’elle poursuive seule jusqu’à la porte qui se présentait à elle.

Diane eut la surprise de pénétrer dans une pièce ronde, haute de plafond. Une verrière abritant une serre tropicale. Elle attendit seule quelques instants en admirant les différents spécimens de plantes et les fresques aux couleurs passées qui ornaient le mur d’entrée. Enfin, elle reconnut l’air d’ « Angie » fredonné entre des bruits de claquettes.

Mick apparut, chantant :  »We can’t say we never tried… »

Ah, Diane, enfin seuls ! Cette tenue vous va à ravir, un rien vous habille !

– Que signifie cette mise en scène, Mick, ou bien dois-je vous appeler Zénob ?

– Je vois que mon oncle a la langue bien pendue ; peu importe, je ne comprends pas ce revirement soudain, c’est bien vous, n’est-ce pas, qui souhaitiez bénéficier de ce bain purificateur ? Vous voulez renoncer à présent ? Sachez que vous représentez à mes yeux ce que j’ai de plus cher au monde. Ma plus belle découverte, mon joyau le plus précieux. Notre communion l’atteste… Vous n’avez plus confiance ?

– Il ne s’agit pas de ça, voyons ! Je n’ai pas compris grand-chose au discours de votre oncle ; dites-m’en davantage, je veux savoir.

– Telle est mon intention, n’en doutez pas. Venez, installons-nous, je vais vous expliquer. »

Mick se référa à Hermès pour rappeler les fondamentaux de l’alchimie, sur lesquels reposait son travail sur les corps, afin de les transformer en une espèce supérieure plus précieuse. Il expliqua la procédure qu’il avait mis des années à mettre au point. Il s’agissait de préparer un bain spiritueux à partir de quatre éléments :  » Le chaud, comme celui que vous portez sur vos joues lorsque vous cachez votre colère ; le froid, que je lis dans votre regard lointain ; le sec, comme mon coeur avant de vous connaître, ma chère, et l’humide, qui perle à mes yeux à votre évocation. »

Diane amadouée, il poursuivit son exposé. La solution obtenue macérait longtemps jusqu’à ce qu’elle atteigne la couleur noire la plus pure, la texture de lave fraîche tout droit sortie du volcan. C’est ce qu’il appelait le Mercure philosophique, aux propriétés extraordinaires, un magma dans lequel il mixait les astres au cours des nuits d’équinoxe. C’est dans ce bain qu’il souhaitait plonger avec elle. Il suffisait qu’ils se dépouillent de leurs vêtements, sans se quitter un seul instant du regard, et qu’ils deviennent, tour à tour, le Soleil et la Lune.

»Diane, vous l’avez deviné, la lumière n’a pas encore opéré sur vous, elle vous a laissé jusqu’ici dans les ténèbres. Mais j’ai décelé une étincelle qu’il suffit que j’excite. Laissez-moi appliquer le sceau du traité visible et palpable de la lumière et des ténèbres. Ainsi, nous atteindrons ensemble le point de conjonction et de coordination entre le Ciel et la Terre. Je saurai extraire, avec votre assentiment s’entend, ce trésor de votre coeur meurtri. Je le dépouillerai de son écorce épaisse qui le cache à mes yeux, je saurai le libérer de sa prison infâme où il st enfermé, je saurai de ma précieuse médecine soulager votre corps. Tout cela grâce au baume universel, l’élixir le plus précieux que m’ait offert la nature et que j’ai parfaitement sublimé. «

Tout en parlant, il s’était approché de Diane, avait d’un geste expert dénoué la ceinture et fait glisser la tunique à ses pieds. Il l’avait ensuite prise par la main sans détacher son regard, l’hypnotisant de sa voix mélodieuse, et l’avait conduite jusqu’à la vasque de marbre, dans laquelle elle entra le sourire aux lèvres.

Diane avait relevé ses cheveux d’un geste gracieux et seuls quelques mèches entouraient ses beaux yeux. Mick était subjugué. Sa ressemblance avec Sol était frappante, il l’avait déjà remarquée lors de leur première rencontre. Si l’on exceptait la chevelure ambrée, la peau diaphane et les yeux clairs, la mère et la fille avaient le même visage fuselé au petit nez mutin, au menton volontaire. Elles partageaient également la même expression réfléchie lorsqu’elles fronçaient les sourcils pour interroger ou exclamer.

Une vague nostalgique envahit Mick à l’évocation de cette diablesse de Sol. Son esprit vif lui manquait, son ironie, son caractère trempé aussi. La douce Diane commençait à l’ennuyer gentiment. Attiré par sa pureté, son innocence et le malheur inscrit dans ses pensées, il ne tirerait désormais de cette fidèle servante que ce qu’il possédait déjà de ses autres adeptes féminines.

Il soupira bruyamment pour chasser ces idées noires mais s’interrogeait sur le destin de Sol. Pour la première fois, en quinze années de bons et loyaux services, il sentait son emprise lui échapper. Et cela commençait à l’inquiéter. Il savait bien que les deux denrées hors de son contrôle, l’amour et l’humour, Sol avait toutes les capacités de s’en emparer. Il ne l’imaginait pas enrôlée dans un cirque ou une troupe de théâtre. Cette petite sotte était tombée amoureuse, il le sentait d’ici et cela le rendait fou de rage.

 

Extrait de  »Le diable, l’astronome et la naine rouge », de Sophie Lucide et Claude Berthout Ed. Le Pommier

http://www.editions-lepommier.fr/ouvrage.asp?IDLivre=381

 

 

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