Aux souvenirs des armoires vides

Quelle joie que l’attribution du prix Nobel à l’œuvre, en grande partie autobiographique, d’Annie Ernaux, vingt ans après que mon enseignante en sociologie de l’éducation me mit entre les mains « Les armoires vides ».

Ce premier roman de l’écrivaine représente un tournant dans ma vie de lecteur. J’y trouvais la toile de fond de ma propre vie, alors que j’entrais avec appréhension et curiosité dans un monde inconnu et que jamais je n’avais pu imaginer intégrer, l’Université. A cette époque, il n’y avait pas Parcoursup qui, si j’avais été jeune bachelier aujourd’hui, et selon ses propres critères sélectifs et discriminants, ne m’aurait pas permis de prendre le chemin de la fac.

La lecture de ce livre a été, pour moi comme pour la grande majorité de la classe, un choc face à l’’’écriture plate’’ de l’auteure, et une source de déculpabilisation face à la description du processus complexe du passage d’un milieu social à un autre. Notre enseignante ne nous avait pas fait étudier ce livre par hasard. Elle savait parfaitement qui elle avait en face d’elle. Une majorité de jeunes boursiers venus des milieux populaires.

Très vite, je m’étais lié d’amitié avec un étudiant venu de Mayotte et une fille aussi timide que moi, qui m’émerveillait dans des séances improvisées de danse orientale entre deux considérations philosophiques sur la vie. Amoureux, je partageais mon temps entre les amphis, les soirées en Cité U et la vie de famille en quartier HLM où se côtoyaient toutes les générations. Une vie banale d’étudiant moyen en somme, peut-on penser. Mais une vie d’étudiante, d’étudiant n’est jamais banale. Je découvrais à mon tour la violence que constitue le passage d’un monde à un autre. Me restent en mémoire les dîners dans la cuisine exigüe où, me croyant fort d’une nouvelle manière de voir le monde, en tant que premier étudiant de la famille, je discutais et remettais en cause tout ce que pouvaient dire mes parents ou quiconque de la famille dans les moindres détails, ce qui parfois provoquait la colère de mon père. Discuter avec le fils, désormais, se solderait par un ‘’Mais’’. Il voyait de l’arrogance dans ce que je pensais être un partage maladroitement exprimé. Un décalage dans le langage s’opérait. On en rigole aujourd’hui.

Dans ma chambre, je savourais ‘’Les armoires vides’’ avec le même plaisir que pour les livres que je choisissais moi-même, hors de toute contrainte scolaire. Sensation d’universel, qu’on retrouve plus tard avec le premier roman d’Edouard Louis, ‘’Pour en finir avec Eddy Bellegueule’’. L’un prolonge l’autre, dans la voix donnée aux classes dominées. ‘’On ne peut plus écrire de la même façon après Annie Ernaux’’.

Ni lire…

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