C’était une très belle journée pour un mois d’octobre, le ciel ne prévenait d’aucun nuage, il était d’un bleu clair apaisant et le soleil brillait comme jamais. Il ne faisait pas trop chaud, mais juste assez pour en profiter agréablement, les oiseaux chantaient et les gens sortaient pour exhiber leurs dernières trouvailles du marché. Les parcs étaient animés par de jeunes couples qui exposaient leur amour, ainsi que des enfants qui se perdaient dans leur imagination emplie de châteaux, de dragons et de princesses à sauver. Les personnes âgées les observaient avec sagesse et un certains amer goût de regret. C’est assez ironique dans un sens, car Tony détestait ces journées ensoleillées où les gens arborent ce sourire hypocrite comme si le soleil avait réglé tous leurs problèmes, ces journées ou les gens sont entassé dans les rues, les plages et les parcs. C’est pourtant lors d’une de ces « magnifiques journées » comme il disait d’un ton sarcastique, que Tony fut mis en terre.
La première fois que j’ai rencontré Tony c’était en plein mois d’octobre, dans ce vieux pub miteux du dix-huitième arrondissement à Paris ; Le Bears, je m’y rendais pour m’abriter de la pluie qui tombait à flot ce jour-là. Lorsque je fus rentré j’eus comme une impression de déjà-vu. Ce bar, on aurait dit un vieux cliché tellement utilisé au cinéma et dans divers romans qu’il en était devenu trop usé pour être vrai, et pourtant ce bar ressemblait en tout point à un de ces bars que Charles Bukowski a décrit plus d’une fois dans ses romans. Toujours les mêmes personnes en pilier de bar avec ce teint triste et sombre, qui d’ailleurs s’assemblait très bien avec les murs, tellement recouvert de poussières et de moisissures qu’il m’était impossible d’en décrire la couleur. Les clients du bar étaient pratiquement tous dans la quarantaine, et se singularisaient de la population dite normale par le désespoir qui régnait sur leurs visages désespoir rapidement effacé par l’alcool. Et là, au beau milieu de ce dédale de ploucs sans nom, se trouvait Tony. Je ne le voyais que de dos. Il avait l’air d’un homme plutôt grand mais rabattu sur lui-même un peu comme si il portait sur lui tous les malheurs du monde. Ses cheveux brun ébouriffés était un peu gras c’était sûrement le résultat de plusieurs nuit passé à dormir dehors. A sa droite, le dernier siège libre, ce fût un peu le préambule de notre rencontre.
Je m’installai donc à ses côtés pour commander un whisky, c’est alors que Tony, dont je ne connaissais rien ni même le prénom m’aborda avec une voix rauque digne d’un vieux fumeur :
-« Tu sais, au moins deux tiers des personnes qui fréquentent ce bar ne vont pas tarder à abréger leurs vie ?
-Je vous demande pardon ?
-Je trouve le vouvoiement un peu formel, pourquoi ne pas se tutoyer ? La vie est décidément trop courte pour se préoccuper de l’avis des arrogants qui ne valent pas mieux que nous. Moi c’est Tony. »
C’est ainsi que commença une longue soirée où Tony me fit le récit de sa vie. Je compris alors pourquoi ses magnifiques yeux noirs reflétaient tant de tristesse. Ils étaient le résultat d’une vie passée à rechercher le bonheur sans jamais le trouver. Tony n’avait pas profité de son enfance. En effet lorsqu’il était plus jeune, sa mère et lui devaient subir les accès de violence de son père. Mais un énième soir d’été où son père était complètement ivre, il bâtit une fois de plus sa femme pour une quelconque raison. Cette fois-ci fut celle de trop, sa mère ne s’en releva pas. Quelques temps après son père comparaissait en justice, et mis à part l’enterrement, Tony ne revit jamais l’homme qui lui avait donné la vie, et repris celle de sa mère. Il ne savait même pas s’il était encore envie et s’en foutais sincèrement. Je remarquai alors qu’il ne s’était jamais remis du décès de sa mère. Avec l’héritage il décida d’abandonner son ancienne vie pour voyager. Il voyagea dans l’espoir de combler un vide qui ne cessait de croitre, un vide que cette mort traumatisante avait augmenté, un vide d’une vie sans réel intérêt, le vide d’un passé de violence, un vide qui se creusait en lui et le bouffait intérieurement. Mais aucun pays, et surtout personne ne put le combler réellement. Tony restait et resterait définitivement seule.
Lors de la narration de ses récits je ne pouvais m’empêcher de regarder cet homme qui avait tant souffert avec admiration. Je regardais chaque coin et recoin de son visage, je voulais être sûr de le reconnaître la prochaine fois que je le croiserais. Son visage était plutôt fin, avec de magnifiques yeux noirs et sombres, ses lèvres étaient gercées par l’hiver qui commençait à s’installer. Il avait une barbe de trois jours, sa peau comportait plusieurs cicatrices plutôt vieilles, elles étaient certainement les restes d’un passé avec un père violent et alcoolique. Après plusieurs anecdotes sur une vie de nomade, voyageant de continent en continents, en Afrique, en Asie et en Amérique, je lui demandai comment un homme qui avait tant voyagé se retrouvait au jour d’aujourd’hui dans ce vieux Pub à Paris. Il me répondit :
– «Quitte à être seul autant partager cette solitude à plusieurs. Là où n’importe quelle personne sensée voit un regroupement de ploucs, moi je vois des hommes qui avaient une vie avant que la société ne les détruise. Je vois des instituteurs, des pères de familles, des ouvriers, des cadres et tant d’autres encore et pourtant ce soir ils sont comme moi, leur bière à la main réfléchissant à un endroit pour passer la nuit. »
Les heures défilaient et les verres aussi, la fatigue commençait à se ressentir et pourtant je restais là, assise, à boire les paroles de cette homme que je venais de rencontrer. Il me dévoilait entièrement sa vie et je sentais bien qu’il ne me racontait pas d’histoire pour que je finisse dans un lit à ses côtés dans un des nombreux hôtels miteux qui croupisse dans cette ville. De toute façon qui aurait voulu coucher avec un sans-abri alcoolique. Aujourd’hui seule l’apparence compte et pourtant, le miséreux qui se tenait en face de moi était bien plus sage et honnête que la pluparts des gens d’aujourd’hui. Non j’avais plutôt l’impression qu’il voulait se confesser d’une vie de débauche et de misère, qu’il avait besoin de parler à quelqu’un qui lui était totalement inconnu et dont le jugement ne le toucherais pas. J’étais cette personne. Vers 3h du matin il ne restait que nous et deux clochards endormis sur leurs sièges Tony finit son verre d’une traite et s’en fut avec pour seul au revoir un simple « salut ». Je me levai aussi pour le rattraper et lui demander s’il comptait vraiment partir sous cette pluie avec pour simple protection une veste trouée. C’est là qu’il me répondit avec un sourire en coin :
« Le froid contrairement aux humains ne me fait pas peur, et chance pour moi : seuls les fous dont je fais partie, ose sortir par un tel temps et à une telle heure. Les autres se gardent les « merveilleuses journées » ensoleillées pour découvrir le monde »
Sur ces simples mots il s’en alla.
Une semaine après je mourrais d’envie de le revoir mais ne m’ayant laissé aucune adresse je retournai au Bears dans l’espoir de le trouver. Son siège était vide, je m’installai donc pour l’attendre. Au bout d’une heure d’attente je me levais pour payer le barman et lui demander quand Tony arrivait habituellement. C’est alors qu’il me répondit :
« Vous n’êtes pas au courant ?
Quelque peu inquiète qu’il soit reparti dans je ne sais quel pays je demandais :
« De quoi devrais-je être au courant ? »
« Et bien Tony s’est suicidé. Il s’est jeté dans la Seine la semaine dernière »
Quelque peu décontenancée mais pas surprise, je quittai le bar tout en repensant à cette première et dernière soirée que j’avais passée avec lui. Son suicide était le résultat d’une société indifférente et incapable de se soucier de son prochain. Cet homme avait toute sa vie dû subir les failles de ce système, des failles cachées mais réel Tony, lui, était un inadapté. Il n’avait jamais pu s’intégrer si ce n’est avec ceux qui avaient totalement perdu espoir. Il avait subi une enfance fondée sur la violence et une vie d’adulte continuellement sur les routes à la recherche d’un foyer. Cet homme avait perdu espoir. Il ne voyait pas ce que la vie avait à apporter, si ce n’est violence et tristesse. Finalement il avait peut-être trouvé la solution à la souffrance.
J.
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Charles Bukowvski, c’est du lourd. J’ai tout lu les Bukowvski. Lui, c’est de la lumière froide. Lucide tout cru, glauque, du Bukovwski.
Bravo pour cette rencontre et tes 16 ans. Je ne dirai que : Écris encore et encore. Lis encore et encore… Écris-toi.