Bref itinéraire ordinaire d’un enfant de novembre qui rêvait d’être un sylviculteur…

T’, le 20-11-2011

On se demandera -ou pas- comment se fesse qu’un homme censé fêter en grandes pompes sa trentaine se remette à ressentir comme jamais auparavant cette sensation qu’il n’a sûrement jamais été un enfant désiré. Ou peut-être est-ce son sexe qui ne convenait pas à ses parents le 20 novembre 1981, ce qui expliquerait pourquoi les années suivantes rien n’a été fait pour le dissuader d’expérimenter et de s’approprier le sexe dit opposé en se travestissant avec les vêtements de sa mère, en prenant goût aux poupées barbies élevées au statut de Sauveuses de l’humanité face à l’impuissance pathétique des robots aux muscles aussi surdéveloppés qu’inutiles, ou encore en se sculptant sciemment une chevelure féminine qui lui tombait sur la nuque et lui valait des « Bonjour mademoiselle » de la part de la bouchère du quartier chez qui il était chargé d’acheter des biftecks dégueulasses.

Enfant -trop?- choyé par sa grand-mère maternelle, qui sortait de son divorce d’avec son grand-père -cela expliquant ceci-, et très tôt concerné par les problèmes d’argent de ses parents à qui IL suggère d’aller voir le dernier film avec Vincent Lindon et Marie Gillain, « Toutes nos envies », dans lequel on y parle entre autres surendettement des ménages, il ne s’est pourtant jamais considéré comme un enfant malheureux ni privé d’émerveillements propres à tout enfant; c’est déjà une chance. Plus tard, avec l’arrivée de sa soeur à laquelle ses parents avaient travaillé chaque dimanche soir depuis trois ans, il se sentit en proie à quelque délire paranoïaque, dont le paroxysme fut atteint un soir d’automne de ses neuf dix ans où il dénicha dans le tiroir en inox du grand placard de la cuisine une hache qu’il se mit à brandir avec un air d’assassin. Il aurait pu, à cette époque, figurer dans la rubrique « faits divers » des grands journaux en quête assoiffée de sensationnalisme. Ils auraient pu titrer ça texto: « Un petit garçon devient fou et tue ses parents », ou encore: « Un garçon de dix ans tue ses parents à la hache ». Ou encore une version plus soft: « Affaire glauque de parenticide en Île-de-France ». Au moins, il serait resté fidèle à la branche paternelle symbolisée par la nature hideuse de « ses étrangers », ses autres grands-parents. Mais la tournure des évènements en a décidé autrement, et il peut dire qu’il s’est sorti avec un succès certes relatif  de ce carcan oppressant.

A trente ans, il n’est pas l’heure de l’on ne sait quel bilan, tandis que continue de se tracer son chemin de vie qui l’effraie autant qu’il l’excite. Les questions existentielles à son humble sujet n’intéressent que lui, pourtant il les sent qui évoluent vers une nature qu’il osera pompeusement qualifier d’  » universelle « : son esprit se trouverait remué par les questions que doivent se poser tous les trentenaires débutants; dans un entre-deux permanent, sur le point de mais pas vraiment, il s’abrite dans le subsidiaire tout en portant de grands rêves qu’il n’est plus temps de fantasmer, ni point de sublimer. Conscient de son état de descendant d’une longue lignée d’êtres obscurs -l’on pourrait remonter de « ses étrangers » jusqu’au XVème siècle, époque où Jacques de Goyon Matignon, descendant d’une richissime famille normande aspirant à la pairie, l’un des statuts les plus convoités de la Cour, épousa Louise-Hippolyte Grimaldi de Monaco dont il s’appropria le nom et les splendeurs, provoquant l’ire de Monaco et de Versailles qui le clouèrent au pilori pour excès d’ambition mal placée-, il trouve ainsi l’explication délurée à son non-désir de se reproduire. Et pourtant, la question le titille, il commence à l’envisager en se disant que sa progéniture pourra toujours porter le nom de sa mère; lui-même n’étant jamais qu’un hasard… Mais en tant qu’unique garçon de sa génération, entouré d’une soeur et de cousines de part et d’autres, il jouit de ce privilège inouï dont il est plus que jamais tenté d’user: mettre fin à l’existence de cet arbre généalogique d’où il pendrait haut et court ce nom qui l’indispose, en s’abstenant de procréer. Une sorte de sylviculteur généalogique. Un tel objectif, empreint de tant de gravité et de responsabilité,  n’est pas donné à tout le monde, n’est-ce pas ?

Ah la trentaine! Mais au fait:

Devient-on sérieux, quand on a trente ans?

– Les beaux soirs , loin d’l’époque et de la marmelade,

Des cafards mitrailleurs aux cerques pénétrants !

– Va-t-on à nos aïeuls reprocher l’estocade?

Ah la trentaine!, d’où il étend ses promenades sous le soleil-surprise d’un automne illuminé, en lisant au milieu des bois les textos fades qu’il reçoit à la pelle comme chaque année, quoique de moins en moins. Aux sanglots d’ombres qui s’insurgeaient d’être légères, il feignait d’être grave en sirotant leur suc. L’esprit boiteux de ses démons a chu tel un gland sans cupule. Au détour d’une solitude bienfaisante, il laisse agir ses ombres à leur guise, il est rompu à leurs batailles; et même, le soir quand la nuit s’étend comme un poêle, il danse avec elles. Ses silences sont peuplés de chants angoissés qui remontent de l’arène et vont jusqu’à la glotte qui gémit des apostrophes. Il longe les allées d’arbres multicolores qui s’effeuillent un peu, beaucoup, à la folie, automnément,  et malmène ses angoisses au gré des balades en leur montrant de quoi il est fait quand il vit. A trente ans, il sait qu’on peut apprécier plus que jamais l’air doux et audacieux de ce printemps de novembre.

T’, le 20-11-2011

Lu 264 fois

Téléchargez l'article au format

Enfant de Novembre

taf'tof' du cœur

Vous aimerez aussi...

4 réponses

  1. solucide dit :

    Quel cadeau tu nous fais! j'en suis émue, vraiment et je t'embrasse, même si c'est en retard, après tout nous sommes toujours en novembre…

    Pourquoi émue, et pourquoi ne pas cacher une émotion si intime? parce que je trouve balèze de se regarder un instant par le petit bout de la lorgnette, d'imaginer même si c'est pour les rayer ensuite, tout un champ de possibles , et le tout dans un sincérité qui se fait rare; cela n'a rien à voir avec du narcissisme pourtant, c'est peut-être même tout le contraire, c'est juste hyper touchant, ça me touche, ce n'est pas un texte jeté mais pensé, mûri, simple et clair, donc quasi parfait. Et puis touchée aussi, pourquoi le taire? de lire ce texte ici, alors je dis merci Tof' et longue vie à toi, tes écrits, tes labyrinthes dans lesquels on adore faire semblant de se perdre, ta légèreté et ta délicatesse….

  2. denis dit :

    Ton histoire m'a beaucoup ému… Il y a beaucoup de non-dits dans les histoires intimes,et c'est bien de se lâcher comme tu le fais, ce que d'autres, comme moi, ne font pas, parce que les cicatrices sont encore fraîches.

  3. aganticus dit :

    Avec en plus l'humour des mots; un secteur qui me réjouit au plus haut point : le point "j'ai"…

  4. Di dit :

    C’est en effeuillant la marguerite que l’on peut voir la beauté de son coeur. Se mettre à nu dans l’intérieur de soi demande beaucoup d’humilité. À 30 ans, on est adulte et tout se met en branle pour le futur. On construit sa vie. Ce qui est dommage, c’est que plusieurs perdent leur coeur d’enfant et font des folies qui ne les font pas rire. Tu es beau, Tof, enfant de novembre, dans ce que je vois de toi à l’intérieur.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.