Chroniques du ver sot : Chez Bébert

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Chez Bébert

Ce coin d’Alsace est en tous points merveilleux : le Géwurtz est excellent et je fais honneur à son image de vin de l’évasion… je m’évade, docteur, je m’évade.

Celui qui n’a jamais foulé le sol alsacien ne peut prétendre à savoir ce qu’est l’accueil de ces gens là ; c’est bien simple: tu leur demandes l’heure et ils te filent leur montre alors que dans d’autres coins, l’heure, même pas ils te la prêtent.

Chemin faisant, évitant les radars malfaisants, j’atterris en un lieu indescriptible : une espèce de bazar-épicerie à l’ancienne coincé entre deux hyper marchés énormes. Et cette enseigne qui clignote au soir tombant ; cette enseigne qui affiche fièrement … Non je ne vais pas vous affranchir derechef de ce que crie cette enseigne, mieux que ça, je vais vous bonnir son histoire comme me l’a racontée un alsaco du coin après que j’eus difficilement traduit son patois mi teuton mirifique en triquant à grands coup de Géwurtz.

L’histoire commence voici quelques années, à l’époque où travailler plus pouvait signifier réussir…

« Chez Bébert » Ces quelques lettres qui clignotent juste au dessus de la petite épicerie signifient : « tu peux entrer en confiance, le patron est sympa, les produits de qualité et les prix raisonnables ».

Il faut dire que Bébert, Robert Eckert dans le civil, s’est bien fait suer le burnous pour arriver à faire reluire sa boutique.

Au départ, c’était une maison presqu’en ruine, seule sur la route, en face de la cité des Roses. Cette cité, appelée pompeusement « les Roses » se traduisait par cinq barres de HLM et, ça et là, quelques villas de chez « pas cher ». Les barres HLM, pour ceux qui ne connaissent pas c’est comme un gratte ciel mais couché.

L’architecte qui avait accouché de cette merdasse n’avait pas dû se méninger le cervelet à faire du convivial, mais les mille cinq cents habitants de ce « nouveau quartier » s’en battaient l’œil vu que leurs moyens ne leur permettaient pas de s’en battre autre chose.

Là où Bébert avait eu du pif, c’est qu’il avait tout de suite pigé le topo : sa future épicerie-bazar se situerait à cinquante mètres du bord de l’immense parking de la cité ;  personne n’ignore l’adage espagnol: « No parking, no business », donc, si gros parking… off course!

Il avait retroussé ses manches, le Bébert, et en quelques semaines, la vieille bicoque s’était transformée en magasin bien coquet, tout peint comme il faut et, comble de fierté, la porte d’entrée était surmontée d’un magnifique enseigne néon qui hurlait « Chez Bébert ».

Cette enseigne, c’était pas pour du flan qu’elle existait mais pour que les loquedus d’en face la voient clignoter jusqu’à vingt deux heures et plus si affinités. Et les loquedus en question, plutôt que perdre leur temps dans l’immensité froide des grandes surfaces de la grande ville, venaient de plus en plus nombreux de jour comme de nuit faire leurs courses car le bouche à oreille fonctionnait bien, à la cité des Roses.

Il fallait voir la file de pékins qui arrivait du parking pour s’engouffrer chez Bébert!

En deux mots, Bébert était arrivé à faire de la concurrence aux géants et il n’en était pas peu fier.

Mais un jour…

Vous avez remarqué que systématiquement quand une histoire est belle il faut toujours qu’il y ait un « mais »? On dirait que ce foutu destin s’arrange toujours pour filer des bâtons dans les trous des gens heureux.

Mais un jour, donc, v’la t’y pas que des engins de travaux publics commencent à s’attaquer au terrain à gauche de chez Bébert : et vas-y que j’te rouleau-compresse et vas-y que j’te caterpillarise, et vas-y que j’te creuse des fondations… puis les armatures, les murs, le toit et enfin l’enseigne du malfaisant : Garaufour !

A partir du jour de l’ouverture de son concurrent de gauche, le chiffre de Bébert prit un coup dans l’aile :  la file de pékins se séparait en deux: une moitié qui continuait à venir chez lui et l’autre moitié de renégats visitait le Garaufour.

Bébert ne se décourageât point et en mettant les bouchées doubles il parvint à limiter la casse pour survivre grâce à son épicerie-bazar.

Mais hélas…  Là, ne dites pas que vous ne vous y attendiez pas, hein? Ben ouais : rebelote sur le terrain à droite de chez Bébert, Mais ce coup-ci l’enseigne affichait un royal « Hyper cul ».

Etla file de pékins qui venait chez Bébert devint aussi fine que le programme du front national.

Vous mordez le topo? Devant chez Bébert, une file énorme de clients potentiels qui se sépare en deux pour aller à droite, à gauche et ne plus venir remercier Bébert d’avoir essuyé les plâtres; y’a de quoi prendre un flingue et tirer dans le tas, non ?

Bébert se mit alors à faire son cinéma sur l’écran noir de ses nuits blanches, comme dirait le poète d’ô Toulouse con. Y’a même des matins ou il se précipitait sur la caisse pour voir si un génie ne l’avait pas remplie pendant la nuit… C’est dire à quel point son bulbe se liquéfiait.

Puis, par une nuit tellement blanche que son lit vide en pâlit d’ennui, entre deux cauchemars peuplés d’huissiers aux yeux remplis de dollars, l’idée, THE IDEE lui vint comme l’annonce faite à Marie Mouche-toi-là : « Change ton enseigne, andouille » lui répéta une voix caverneuse « Change ton enseigne! »

Inutile de dire qu’à peine le jour levé, notre Bébert requinqué par l’idée de génie qui avait mijoté dans sa pauvre calebasse fatiguée, téléphona à son pote Léon, le roi du néon, pour commander sa nouvelle enseigne très lumineuse.

Dès que reçue, elle fut installée et le miracle des loulous eut bien lieu : à partir de cet instant la file renégate ne se sépara plus en deux et tous ses ex clients devinrent des renouveaux clients.

La file des loquedus était redevenue comme avant ce cauchemar qu’aurait fustigé le grand Georges, j’ai nommé « super Marchais ».

Là, je vous sens tous impatients de savoir ce qu’il y a de marqué sur cette foutue enseigne: qu’est-ce qui clignote gaiement dans les mirettes des mille cinq cent habitants de la cité des Roses ?

Alors, comme Farah, vous donnez votre langue au Shah ?

Ben, tout simplement, Bébert, Robert Eckert dans le civil, avait eu l’idée, comme ses voisins les super marchés félons, d’utiliser l’immense bêtise du consommateur lambda et maintenant son enseigne affichait en rigolant:

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3 thoughts on “Chroniques du ver sot : Chez Bébert

  1. quel plaisir tout d'abord de lire une seconde (je n'ose écrire deuxième dans toute cette instabilité qui règne dans un environnement inhospitalier…)) chronique de l'asphalte! C'est donc qu'écrire l'emporte dans ton cœur sur l'assurance 100% garantie d'être lu par des milliers, que dis-je des milliers, des millions de lecteurs avides et impatients!

    Étant moi-même alsacienne de naissance (si, si!!) je pousse d'ores et déjà un kokoriko de rigueur par pur chauvinisme; les Alsaciens, c'est un peu comme ces gens du Nord qui ont dans les yeux le bleu qui manque à leur décor, si mes souvenirs sont bons… Maintenant, pour bénéficier de cette chaleur mieux vaut ne pas trop déteindre, hein, et se fondre dans la joie de goûter à ce qu'ils ont de meilleurs sur leur route des vins….

    lecture fort sympathique donc, sur fond de misère sociale qui ne dégouline pas trop de compassion sociétale…

    bon, la chute ressemble un peu à un aphorisme carambaresque, mais on s'en tape un peu puisque l'essentiel c'est l'ambiance, le style aganticusien qui se fout des messages moralisateurs et c'est ça finalement que j'aime bien retrouver en suivant tes chroniques… à plus, donc, si tu vois c'que veux dire…

  2. Je ressors de ma lecture comme si je venais de regarder un court métrage, avec une chute qui laisse au lecteur un éventail d'interprétations possibles (ce que ne permet pas la légendaire finesse carambarologique, si? ;-P ). Un aspect visuel qui me plaît…

    (Les chroniques de l'asphalte, ça me dit quelque chose, de S.Benchetrit je crois; pas lu encore, merci de m'y faire penser 😉

  3. si on peut même plus rigoler! 😉 et puis, les carambar, c'est chouette, on en a pour des heures tant ça colle aux dents, (euh, je m'enfonce, là? ))

    pas lu non plus les chroniques de l'asphalte mais j'aime bien le titre;-)

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