Maman a refermé la porte, tout contre, laissant passer un simple fil de lumière pour que je ne sois pas happé par les angoisses de la nuit.
J’entends ses pas qui faiblissent au cours de sa longue descente vers la maison du bas. Elle tousse puis se racle la gorge. Je la sais désespérée de faire autant de bruit et de ne pas pouvoir maîtriser le mal qui la ronge.
Ils sont tous partis. Ils ont quitté la maison sans un mot ni un regret. Pas une caresse. Pas de dernier baiser.
Papa est parti en premier.
Un soir de pluie où le froid mangeait nos mains, les murs et les vitres, glissait le long des bandes de papier peint qui se décollaient du mur avec lenteur et ténacité.
Maman avait pleuré toute la nuit.
Quelques jours plus tard, ce fut au tour de Pierrot, mon grand frère. Il s’est sauvé en emportant ce qu’il restait d’argent et de chaleur dans nos cœurs.
Des gens viennent à la maison avec de grands cartons dans les bras. Maman leur sourit mais elle a honte. Je sais que ça lui tremble en dedans et qu’elle voudrait pleurer derrière son sourire de circonstance.
Même le chien. Même le chien a fui, la queue entre les pattes, sachant qu’il n’avait plus rien à tirer de bon et de consistant de notre part, sinon un peu d’affection, mais cela ne nourrit pas sa bête.
Ni la moindre lèche, ni le moindre glapissement… la queue entre les jambes comme le dernier des malfrats !
Plongé, froid, au creux de mon lit aux draps bien trop blancs, un peu rêches, je m’imagine un autre monde, un monde de revanche où je suis fier sur mon cheval et où Maman est la reine.
Il y a des fleurs dans ses cheveux et les gens sourient à son passage. Ils me saluent comme un prince et je leur jette des pièces d’or sous le bleu du ciel.
J’ai du mal à m’endormir. Maman a mal au ventre. Elle souffre dans son cœur et dans sa tête.
J’ai froid en moi, il y a un grand vide avec ce nœud dans ma gorge qui gonfle et me fait peur.
Nounours est chaud sous mon oreiller. Je lui souffle des poèmes à l’oreille, des chansons d’eau et de bijoux.
Bientôt, ce sera Noël.
Les sapins vont mourir très tôt cet hiver. La neige aura peut-être la couleur de la cendre et le goût des larmes.
Je lui accrocherai une étoile géante à ma mère ! Tout en haut du plus grand sapin du monde. Et la terre entière fera une farandole de lumière tout autour. Ce sera beau comme au premier jour. Je lui fais la promesse. J’ai la force en moi !
Mais le sommeil refuse toujours de m’envahir, de m’asséner son coup de massue, de me délivrer de ma journée et de mes pensées.
Je suis un peu fatigué maintenant mais je n’arrive pas à les fermer, ces yeux, ces sacrés yeux qui trahissent mes rêves.
Je me lève en silence, bravant le tissu noir qui me sépare de la lumière, là, vers l’escalier qui descend.
Je vais rejoindre Maman et la consoler.
Je descend léger comme un ange, le bois murmure à peine sous mes pieds nus. Je vais me blottir tout contre elle et nos corps vont se réchauffer à la faible lueur de notre espoir. Il faut y croire, Maman, il faut y croire. Il y aura des jours meilleurs.
Tout est silencieux. Bien trop silencieux. Je n’entends plus que ma propre respiration qui se fait de plus en plus haletante, ça me compresse la poitrine. Je ne suis pas tranquille. J’ai peur.
Je pousse la porte de la cuisine qui couine.
Il y a des ombres qui dansent sur les murs, des éclats d’étoiles qui ont transpercé les rideaux de la fenêtre et des phares d’autos, et des bruissements d’ailes, et des chuchotements. C’est la nuit qui s’installe.
Maman est droite au milieu de la cuisine. Blanche et immobile. Elle tient, suspendue par le cou et la corde qui la relie au plafond.
Courage, Maman, je viens te rejoindre…
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