Le sommeil de cette nuit nermagique rythmée de ronflements syncopés de mon voisin conféra à mes rêves des rendus dyslexiques. Il avait entraîné dans sa chute le jeu d’une douzaine de bouteilles heurtant le mur qui nous séparait et la dernière n’en finissait pas de rouler encore et encore dans mon rêve inachevé. Le flacon rempli se déversait comme au compte-goutte dans un glouglou assez efficace pour me faire lever d’un bond de mon lit. Je cherchai à tâtons les toilettes, me pensant encore chez moi avant que je ne réalise où je me trouve.
Six heures me séparaient de mon rendez-vous mais j’étais trop excité pour me rendormir. Habillé à la hâte, je décidai alors de quitter l’auberge et partir à la découverte de cette ville étrange. Il faisait nuit noire et je savais que les allemands, écolos de la première heure n’illuminaient leurs rues qu’à l’économie. C’est à ce genre de détail qu’on se souvient avec un peu de mal que si l’on se trouve bel et bien dans une capitale européenne, Berlin demeure une ville dichotomique et mal cicatrisée. C’est un charme que l’on devine, un mystère qu’on voudrait percer, une ambiance à laquelle on aimerait adhérer. Il était quatre heures environs, je croisais çà et là des cyclistes, quelques piétons aussi et une seule voiture roulant au ralenti. Cette ville sied à merveille à ma paranoïa, me disais-je, marchant tel un somnambule, usant de mon portable pour éclairer mes pas lorsqu’ils hésitaient, heurtés de tant d’obscurité.
Un bar, au coin d’un grand boulevard chichement éclairé rassura mon gosier desséché. La nuit était super fraîche pour un mois d’août mais cela me convenait bien; je pensais furtivement aux plages surpeuplées et bruyantes du sud de la France et je me dis que j’étais bien là, ici et maintenant, que j’allais peut-être pouvoir apprécier pour la première fois de ma vie une bière allemande. Cela me fit sourire. Depuis que je ne fumais plus, de nouveaux goûts s’étaient imposés et je les essayais, tour à tour, avec plus ou moins de succès. La « currywurst » berlinoise ne m’attirait que très moyennement cependant….
On ne me regarda pas de travers lorsque je pénétrai dans le bar, on me sourit même et ce sourire me réchauffa littéralement. La jeune serveuse derrière son bar était charmante. Lorsque la vie me souriait ainsi, j’étais si bien que même mon propre corps me semblait mon ami.
J’avais même envie d’engager la conversation mais que dire?
Mais tout semblait couler de source, ici.
Je bus une bière, on m’en offrit une deuxième et je rendis la politesse et.. je me réveillais face à un énorme berger allemand grondant, la truffe froncée à quelques centimètres de moi. Son maître nous rappela à l’ordre. Raus!
Je pris ces mots aux pieds de la lettre et sans demander mon reste, soulevai ce que je concevais pour la première de ma vie comme une vieille carcasse, hors de l’établissement. Le jour était levé, une lumière crue me fit fermer les yeux. J’avais donc fini ma nuit dans un bar et j’avais, ma foi, dormi comme un bébé. Je n’avais même pas mal à la tête, peut-être un peu au dos, mais je gardais ce truc en mémoire, boire une ou deux bières… Je rigolai tout seul sur le trottoir,de mes propres inepties. Hors de question de finir en pochtron, même à Berlin! Les mains dans les poches, j’y trouvais tout: portable, papiers, argent. Rien ne m’avait été dérobé. J’avais le temps de boire un café, me recomposer une tête présentable et rejoindre mon amie.
Je me sentais quasiment euphorique à l’idée, ou bien était-ce la bière?
Tout en marchant, je me souvenais de ma première rencontre avec mon amie, sur le campus de la fac. Nous avions assisté au même cours sur Mallarmé dispensé par un prof qui avait réussi à capter notre attention. Nous en avions parlé ensemble un moment et puis, subitement, rougissante elle m’avait soufflé à l’oreille » jamais lu Mallarmé » Moi non plus! Nous avions comblé ensemble cette lacune dès que le fou rire fondateur de notre amitié fut dissipé. La bière rendrait-elle nostalgique? Ou bien est-ce Berlin qui rappelle par tous ses pontillés dessinés partout, ce que nous étions, ou ce que nous aurions pu être?
J’étais à l’heure devant le portail du numéro 19 de la Wienerschnitzel Strasse, je tenais une sacrée dalle mais mon amie n’était pas là. Une gentille vielle dame au chignon immaculé merveilleusement travaillé me tendis un I-Pod bleu: » Sind Sie Herr Tofafecuneapostrof’? » avant de partir comme si de rien n’était.
« désolée, Tof’, un imprévu de dernière minute m’oblige à te faire faux bond très momentanément. Ecoute-moi ce chef d’œuvre en attendant, mon ami et continue de marcher pendant 27 minutes. Muss es sein? JA, es muss sein! A plus tard «
https://www.youtube.com/watch?v=UqgNDsSNDkU
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