» Dans les conclaves mystiques, les femmes poussaient des airs déchirants soutenus par le jeu de tambourin. La préparation des amulettes, la magie des lampes à pétrole, les talismans en cuir de chèvre enterrés dans les maisons et destinés à » ouvrir » la matrice des femmes restées stériles, tout ce fatras de croyances, Ladane ne les connaîtrait pas. Elle ne testerait pas les formules aptes à redonner de l’ardeur aux maris, à les ramener dans la couche auprès de leurs épouses excisées depuis leur adolescence. Elle ne réciterait pas des prières en vue d’arrondir son ventre ou de précipiter sa progéniture dans le monde invisible des ancêtres, endormis dans le sanctuaire à l’orée du village. Elle ne se dessécherait pas comme ma tante Dayibo qui multipliait les consultations chez la cartomancienne, pour s’entendre prédire invariablement un événement heureux. Ton foyer bruissera, pronostiquait la devineresse, des cris de joie d’un loupiot joufflu.
Je n’ai jamais su, Béa, ce qui avait poussé Ladane à s’ôter la vie. Elle avait vingt-et-un ans. Si j’étais sculpteur, j’aurais modelé la silhouette de Ladane. Elle aurait un seau à la main droite, un enfant sur le dos, du fagot sur la tête. Elle serait enceinte de sept mois. Elle aurait une foule de gamins qui lui donneraient d’autres gamins. Elle serait centenaire. »
Abdourahman Waberi, « Pourquoi tu danses quand tu marches ? », p. 202
Lu 46 fois